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Les juges soupçonnent Alexis Kohler d’avoir «participé» à des décisions sur l’armateur MSC, lié à sa famille

Les magistrats instructeurs reprochent notamment au secrétaire général de l’Elysée d’avoir «persisté», entre 2012 et 2016 dans les cabinets de Pierre Moscovici puis Emmanuel Macron à Bercy, «à émettre des avis ou donner des orientations stratégiques» sur des dossiers «impliquant le groupe MSC».
Alexis Kohler, le 6 juillet 2020 à l'Elysée. (Denis Allard/Libération)
publié le 29 novembre 2022 à 14h23

Le secrétaire général de l’Elysée Alexis Kohler, mis en examen pour «prise illégale d’intérêt» en septembre, est soupçonné d’avoir «participé» en tant que haut fonctionnaire, entre 2009 et 2016, à des décisions relatives à l’armateur MSC, lié à sa famille, selon des éléments de son interrogatoire.

D’après ces éléments, les magistrats instructeurs lui reprochent notamment d’avoir «persisté», entre 2012 et 2016 à Bercy dans les cabinets de Pierre Moscovici puis Emmanuel Macron, «à émettre des avis ou donner des orientations stratégiques» sur des dossiers «impliquant le groupe MSC». L’intéressé a contesté tout «conflit d’intérêts».

Or la mère d’Alexis Kohler est cousine de Rafaela Aponte, épouse du fondateur du groupe Gianluigi Aponte, un lien familial «simple» mais au «5e degré», «éloigné», s’est défendu l’intéressé devant les juges. Le secrétaire général de l’Elysée reconnaît toutefois une «amitié sincère» entre son épouse Sylvie et Rafaela Aponte (cofondatrice de la compagnie). Une relation matérialisée par plusieurs séjours, entre 2009 et 2019, de Sylvie Kohler ou des enfants Kohler sur des yachts de MSC, souvent avec des membres de la famille Aponte.

Après la démission d’Emmanuel Macron du ministère de l’Economie en août 2016, Kohler rejoint même MSC au poste de directeur financier avec l’aval de la commission de la déontologie alors que le futur président de la République s’était porté garant que son bras droit n’avait jamais traité du dossier MSC à Bercy. Deux ans plus tôt, l’institution avait pourtant émis un avis défavorable considérant qu’en 2010 il était intervenu après de STX pour un avis. L’affaire est née après des articles de Mediapart en mai 2018 et une plainte de l’association Anticor. Une information judiciaire a été ouverte en juin 2020. A ce jour, il y a eu au moins cinquante auditions et dix perquisitions.

«Superviseur discret»

Devant les magistrats, le secrétaire général de l’Elysée a indiqué d’emblée n’avoir «jamais considéré être en situation de conflit d’intérêts». «Tout simplement parce que je n’avais pas d’intérêt et je n’avais pas vocation à en avoir, et que mon lien familial était éloigné», précise-t-il. Mais de manière paradoxale, il va marteler avoir tout fait, «dès novembre 2008», pour se trouver loin du dossier MSC. Il explique n’avoir participé à aucune décision concernant le groupe, avoir averti sa hiérarchie de ses liens familiaux, avoir demandé à quitter son mandat d’administrateur de STX (désormais Chantiers de l’Atlantique) et avoir exprimé dans ses votes en conseil d’administration la position de l’Etat plutôt que la sienne. Et quand les juges le questionnent sur un mail reçu après la signature d’un important projet de contrat entre MSC et STX, dans lequel le directeur général de STX France Laurent Castaing remercie Alexis Kohler, le «superviseur discret», ce dernier balaie des «relations inexistantes» avec le patron.

Face aux juges, Kohler souligne également qu’en tant qu’administrateur de STX France (désormais Chantiers de l’Atlantique) et du GPMH (Grand port maritime du Havre), il n’a «jamais rencontré MSC» ni «participé à des réunions» ni «pris de décisions de (son) propre chef» concernant le groupe. Il assure avoir insisté pour ne plus être administrateur de STX, y restant car sa «hiérarchie (le lui) a systématiquement et explicitement demandé». Il reconnaît toutefois : «rétrospectivement, il est vrai qu’il aurait été plus simple que je ne sois pas nommé administrateur pour éviter tout risque».

Déport informel

Lorsqu’il était à Bercy, il dit avoir organisé un déport du dossier MSC «informel», avec Pierre Moscovici (2012-2014) puis via «une lettre» avec Emmanuel Macron (2014-2016). Les magistrats indiquent n’avoir retrouvé «aucun écrit ou note de l’Agence des participations de l’Etat, du Trésor ou du ministère faisant état du lien familial avec la famille Aponte» ou organisant cette mise à l’écart du dossier MSC entre 2010 et 2016. Surtout que le 24 août 2016, deux jours avant une réunion entre le Premier ministre Manuel Valls et le ministre de l’Economie Emmanuel Macron, Alexa Aponte transmet à son mari et président de la branche croisières de MSC, Pierfrancesco Vago, le numéro de téléphone d’Alexis Kohler pour un appel une heure plus tard laissant penser que Kohler aurait participé à cette réunion préparatoire sur la recapitalisation de STX France, qui concerne aussi MSC. Réponse de l’intéressé : «je ne crois pas leur avoir parlé».

A l’issue des quinze heures d’interrogatoire, Alexis Kohler concède un «débat sur [son] degré de formalisme» pour avertir de son déport des dossiers MSC, mais se dit cependant «choqué et indigné» de la «mise en cause» de son «intégrité». «On peut se féliciter que la justice avance et fasse son travail, même s’il est dommage que cela prenne autant de temps», a répondu de son côté l’avocat de l’association Anticor, Me Jean-Baptiste Soufron.

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