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Tiraillements

«Les militants se demandent quoi dire sur le terrain aux alliés de gauche» : au PS, la peur du retour des procès en trahison après le choix de la non-censure

Alors que le Parti socialiste a décidé jeudi 16 janvier de ne pas censurer François Bayrou, plusieurs personnalités du parti qui ont défendu la position inverse, craignent qu’un tel acte ne balaie les efforts entrepris pour réancrer le PS à gauche.
Les députés socialistes Olivier Faure, Aurélien Rousseau, et François Hollande, le 16 juin 2025 à l'Assemblée nationale. (Albert Facelly/Libération)
publié le 17 janvier 2025 à 19h19

Le maire des Ulis (Essonne) Clovis Cassan en convient. Le moment «n’est pas très agréable», pour ceux qui comme lui plaidaient, au sein du Parti socialiste, pour voter la censure à laquelle François Bayrou a échappé ce jeudi 16 janvier. Extrêmement divisé sur la question, le parti à débattu de longues heures et mis plusieurs jours à arrêter une position commune. Il aura fallu, dans la dernière ligne droite, de nouvelles concessions du Premier ministre, résumées dans un courrier, pour convaincre une majorité au sein du PS d’épargner, pour cette fois, le locataire de Matignon en ne soutenant pas la motion portée par les insoumis, les communistes et les écologistes. Mais une majorité qui n’est pas unanimité. Au cours du bureau national organisé pour trancher, plusieurs personnalités, pourtant proches d’Olivier Faure, se sont prononcées pour la censure. Huit députés ont même décidé de joindre leurs voix à celle de leurs partenaires du Nouveau front populaire (NFP) en votant la motion.

Lors de cette ultime réunion à huis clos, Clovis Cassan a défendu jusqu’au bout l’idée d’une censure. Si les dirigeants du PS ont bien fait d’aller négocier avec le gouvernement, le maire des Ulis maintient que malgré la lettre de Bayrou «le compte n’y est toujours pas». L’édile regrette notamment que son parti, qui a certes obtenu des avancées non négligeables, a aussi lâché sur certains points, et notamment la réforme des retraites. «Il y a eu un vrai recul sur certaines de nos lignes rouges», complète le premier fédéral de Seine-Saint-Denis, Mathieu Monot. Lequel rappelle que son parti était entré dans les discussions en faisant de l’abrogation de la réforme portant l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans un préalable, mais qu’aujourd’hui la direction rose se contente d’une renégociation par les partenaires sociaux.

Retour des accusations de trahison

De nombreux défenseurs de le censure craignent surtout que cette décision du PS fasse s’envoler tous les efforts entrepris ces dernières années pour réancrer le parti à gauche après le si décrié quinquennat Hollande. «On a l’impression de s’être battu pendant huit ans pour retrouver de la fiabilité et là, “boum” on prend une décision qui n’est pas compréhensible», regrette Cassan. «J’ai eu le sentiment que François Hollande était redevenu le premier secrétaire du PS», abonde Mathieu Monot. D’autant que les partisans de la censure savaient qu’à partir du moment où le choix de ménager Bayrou serait officialisé, les procès en trahison, beaucoup plus rares depuis la participation des roses à la Nupes et au NFP repartiraient de plus belle. «Les militants de gauche qui ont connu les jets de tomate en manif ont peur d’un retour en arrière», affirme également la première fédérale du Nord, Sarah Kerrich-Bernard. Ce vendredi 17 janvier, plusieurs socialistes ont retrouvé les devantures de leurs locaux tagués d’insultes telles que «sociaux traites», «pourris» ou «vendus à l’extrême droite».

A l’annonce de la ligne du parti, nombre de responsables locaux ont été interpellés par leurs militants. «Depuis hier, je reçois des messages particulièrement interrogatifs sur ce qui se passe à l’échelle nationale, souffle Mathieu Monot. Je ressens une vraie inquiétude des militants et cadres de ma fédération.» Sarah Kerrich-Bernard aussi a reçu de nombreux messages. Mais ceux-ci vont dans les deux sens. «Certains disent “quel retour en arrière horrible”, d’autres estiment qu’on permet à la vie économique de fonctionner et disent donc “que ce n’est pas plus mal”», explique l’avocate. Cette dernière note toutefois que «le travail à faire désormais est de répondre aux militants qui sont déjà lancés dans la préparation des municipales et qui demandent quoi dire aux alliés de gauche».

«C’est la vie d’un parti politique»

Si Sarah Kerrich-Bernard a, elle aussi, défendu la censure jusqu’au bout, la trentenaire se dit, au lendemain de l’examen du texte, «soulagée» des retombées. Finalement, les accusations de ralliement aux macronistes ne sont pas si massives. La stratégie du PS serait même approuvée par 74 % des électeurs du NFP selon un sondage Elabe réalisé avant le vote et relayé à foison par les cadres socialistes sur les réseaux sociaux. Les divisions sur la question n’auront d’ailleurs pas d’incidence au sein du parti. «C’est la vie d’un parti politique qui a des débats internes», affirme Cassan. Les huit «frondeurs» qui n’ont pas respecté la consigne de vote en votant la censure ne seront d’ailleurs pas sanctionnés. «C’est un débat tellement profond et tellement complexe qu’on ne peut pas punir les gens», soufflait jeudi 16 janvier au soir une source parlementaire à gauche.

Reste à voir les incidences au sein du NFP. Si les insoumis martèlent depuis le (non) vote des socialistes qu’ils auraient trahis et qu’ils seraient désormais la béquille de la macronie, les écologistes et communistes, eux, se privent bien de tancer leurs camarades du PS. Les verts et rouges savent combien les débats internes ont été intenses dans le parti au poing et à la rose et estiment qu’il n’est pas utile de les accabler. Jeudi 16 janvier, à l’Assemblée nationale, plusieurs élus n’ont d’ailleurs pas manqué d’adresser des gestes de réconfort aux députés PS qui ont été contraints de se ranger derrière la discipline de groupe. «Certains parlent de tempête, mais je ne vois rien d’autre qu’une tempête dans un verre d’eau, assure la députée des Yvelines Dieynaba Diop. C’est juste que les insoumis ne supportent pas qu’on n’ait pas la même stratégie qu’eux, mais personne au NFP n’a le droit de dire qui est membre de l’alliance ou qui ne l’est plus.»