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Expression

«Les smicards» préfèrent «la VOD» à «une alimentation plus saine» : des propos rapportés de Macron font polémique

Les agriculteurs en colèredossier
Au jour d’ouverture du Salon de l’agriculture, le quotidien régional «la Marseillaise» publie en une ce samedi 24 février une parole prêtée au Président lors d’une réunion avec le syndicat agricole Modef. Le principal intéressé dément, une participante à la réunion maintient le fond du propos.
La une de «la Marseillaise» de ce samedi 24 février.
publié le 24 février 2024 à 12h33
(mis à jour le 24 février 2024 à 18h30)

Un timing millimétré. En pleine contestation du monde agricole, et alors que vient de s’ouvrir le Salon de l’agriculture à Paris, le quotidien régional la Marseillaise, marqué à gauche, a décidé de publier en une une citation choc prêtée au président de la République, ce samedi 24 février. «Les smicards préfèrent téléphones et abonnements VOD plutôt qu’une alimentation saine», aurait persiflé Emmanuel Macron, le 15 février dernier à l’Elysée, lors d’une rencontre avec les représentants du Mouvement de défense des exploitants familiaux (Modef), un syndicat agricole de gauche.

Le quotidien dénonce dans ses pages un «mépris de classe dont le chef de l’Etat est malheureusement coutumier», en référence à d’autres propos (publics, ceux-là) tenus par Emmanuel Macron depuis sa première élection en 2017, invitant par exemple un jeune chercheur d’emploi à «traverser la rue» pour trouver du travail, ou parlant des gares comme des lieux où se croisent «les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien», un propos qu’il avait plus tard déclaré regretter.

Lors de sa déambulation à garde rapprochée dans le Salon de l’agriculture, Emmanuel Macron a fermement démenti ces propos. Interrogé sur ce sujet, il a assuré n’avoir jamais employé «une formule comme celle-ci». Avant de se justifier : «Le problème que nous avons dans notre pays aujourd’hui, c’est que la part du revenu que les Français allouent à l’alimentation, en trente ans, elle a baissé. C’est-à-dire que les gens, ils dépensent plus d’argent pour le logement, pour les abonnements téléphoniques, pour des voyages, pour la télévision. Le mode de vie a changé.» Emmanuel Macron en a également profité pour fustiger «la déontologie» des journalistes ayant relayé ces propos.

L’Elysée s’est également empressé de démentir l’invective dès la parution du journal. Ce dernier a toutefois maintenu son assertion : «La une de La Marseillaise de ce week-end a fait largement réagir», soutient sur X (ex-Twitter) le quotidien provençal, qui indique que, malgré le démenti de l’Elysée plus tôt dans la journée, «le Modef maintient» sa version des faits. L’agenda du Président, disponible sur le site de l’Elysée, indique bien une réunion avec le Modef à la date du 15 février.

«Le Président ne s’est pas exprimé en ces termes, mais le fond est le même»

Interrogée par l’AFP, Lucie Illy, vice-présidente du Modef et présente à cette réunion, concède que «le Président ne s’est pas exprimé en ces termes, mais le fond est le même». Cette arboricultrice bio dans les Hautes-Alpes a notamment interpellé Macron sur les «marges abusives que l’on constate parfois sur le bio, et la difficulté pour des personnes qui touchent le smic de se fournir en produits bio». «Il m’a dit d’abord qu’il n’y avait pas de marges abusives en bio. Puis il a dit que “bien se nourrir est un choix de vie. Alors qu’on a 70 chaînes gratuites en France”, on peut se passer d’un abonnement (télé) pour se payer des pommes bio», a-t-elle relaté. Se disant «un peu choquée», Lucie Illy a fait valoir que «quand on travaille et qu’on gagne le smic, c’est dur de s’entendre dire de choisir entre bien manger et les loisirs, ça peut aller loin».

Quels qu’en soient les termes exacts, l’invective a suscité de nombreuses réactions. Le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, dénonce sur X un «mépris de classe jusqu’au bout de la part de celui qui, de toute sa vie, n’aura jamais eu d’arbitrage à faire entre manger mieux et avoir accès à la culture». «A ce rythme de mépris, ça va mal finir», prévient sur le même réseau social Sandrine Rousseau, députée écologiste. «Les Français et Françaises sont à bout, beaucoup n’en peuvent plus d’être humiliés, de survivre, d’être sur le point de basculer. […] Et vous, président de la République, vous faites ça ?»

«Fake news»

Plusieurs figures du gouvernement et de la majorité ont volé au secours du chef de l’Etat. «L’Elysée a démenti cette citation mais non, c’est plus fort que lui… Olivier Faure […] continue à faire circuler cette fake news», a par exemple posté sur X la porte-parole du gouvernement, Prisca Thevenot. Reprenant un terme souvent utilisé par l’ancien président américain, Donald Trump, lorsqu’il s’agit de décrédibiliser le travail des médias.

«Jamais le Président n’a prononcé les propos sur les “smicards” qui lui ont été attribués par le journal la ⁦Marseillaise. Méfiez-vous des fake news car l’escroquerie intellectuelle de l’extrême droite (sic) atteint son paroxysme», a affirmé à son tour Nadia Hai, vice-présidente du groupe Renaissance à l’Assemblée nationale.

Depuis le début de la crise des agriculteurs, cependant, un argument similaire est souvent utilisé par des élus ou des cadres de la majorité présidentielle lors de leurs échanges informels avec la presse, l’«abonnement VOD» étant parfois remplacé par le «forfait 5G», supposément préféré à l’achat d’aliments sains et français. Lors d’une conférence de presse tenue en janvier, Emmanuel Macron avait lui-même recouru à une image très proche. Le chef de l’Etat défendait alors l’augmentation du reste à charge sur les médicaments remboursés : «Au moment où je vois ce que nos compatriotes peuvent dépenser pour des forfaits téléphoniques, la vie quotidienne, se dire qu’on va passer de 0,50 à 1 euro pour une boîte de médicament, je n’ai pas le sentiment qu’on fait un crime terrible», avait-il alors déclaré.

Mis à jour : à 18 h 30 avec le démenti d’Emmanuel Macron.