De l’arithmétique pour se sauver la face. Après des mois de tractations politiques, de coups de théâtre parlementaires et une dernière ligne droite incertaine, le projet de loi immigration a été adopté mardi soir par les députés, avec 349 voix pour et 186 contre. «Le texte immigration est voté définitivement, s’est félicité illico le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, sur X (ex-Twitter). Un long combat pour mieux intégrer les étrangers et expulser ceux qui commettent des actes de délinquance. Un texte fort et ferme. Sans les voix des députés RN.» Dans l’hémicycle, les 88 députés du Rassemblement national ont pourtant voté pour le texte. Une abstention des troupes lepénistes n’aurait, certes, pas empêché son adoption. En revanche, des votes «contre» – ce qu’envisageait encore lundi le patron du parti, Jordan Bardella – aurait abouti à… un rejet du texte. Les voix du RN n’étaient donc pas de trop. D’autant plus qu’il a manqué un paquet de voix dans le camp de la majorité : 27 députés ont voté contre (20 Renaissance, 5 Modem et 2 Horizons) et 32 abstentions (17 Renaissance et 15 Modem). Un bon paquet de «frondeurs», dont le président de la commission des lois, Sacha Houlié qui a pourtant… réécrit le texte dans le sens voulu par la droite et l’Elysée pour obtenir un accord en commission mixte paritaire.
La Première ministre Elisabeth Borne a salué, elle, «un texte efficace et conforme aux valeurs républicaines» et assuré – contre toute évidence – que «la manœuvre du RN a échoué». Epilogue d’une journée où le «barrage à l’extrême droite» promis par Emmanuel Macron le soir de sa réélection en 2022 aura explosé en quelques heures.
Le Modem coupé en deux
Les pirouettes et éléments de langage de l’exécutif ne cachent pas la profonde fracture de la coalition présidentielle, après le coup de pouce tactique du parti d’extrême droite qui a permis, en refusant de s’y opposer, l’adoption de la loi. Selon le Figaro, le ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, ex-directeur de cabinet d’Elisabeth Borne et en poste depuis moins de six mois aurait remis sa démission à la Première ministre. D’autres de ses collègues avaient également mis, selon l’AFP, leur démission dans la balance : Sylvie Retailleau (Enseignement supérieur) et Patrice Vergriete (Logement). Clément Beaune (Transports) a confié à Libération «douter» de la suite. «On ne sort jamais d’une négociation totalement satisfait», n’a pu que concéder, à la tribune, le patron du groupe, Sylvain Maillard, dénonçant toutefois le «cynisme» du RN. «C’est un dilemme cornélien, tiquait avant le vote un député Renaissance. On file des victoires symboliques à la droite. Ce n’est pas le texte idéal…»
Au Modem, où la liberté de vote avait été accordée, l’éclatement est plus fort encore. Le président du groupe, Jean-Paul Mattei, comme la corapporteure du texte, Elodie Jacquier-Laforge, se sont abstenus. «Ce texte n’est pas parfait», a convenu Mattei, appelant, en vain, le camp présidentiel à «ne pas accepter une majorité qui ne respecterait pas nos valeurs». En revanche, cette fois, contrairement au texte contenant la réforme des retraites, le groupe Les Républicains (LR) est resté uni : 62 votes «pour». «Ce texte marque un véritable tournant», s’est félicité leur président, Olivier Marleix, satisfait d’avoir, au cours des derniers jours de pourparlers avec la Première ministre, imposé ses idées radicales en contrepartie d’un soutien au texte. «On n’a pas intérêt à ce que ça passe avec les voix du RN», glissait de son côté un député LR avant le vote, inquiet de voir la «digue» séparant la droite du RN se fissurer un peu plus.
«Un petit pas» pour Le Pen
Socialistes, écologistes, communistes et insoumis ont dénoncé, eux, une loi de «la honte». «Vous avez offert à l’extrême droite une victoire idéologique majeure. Vous avez cédé sur tout», a pilonné à la tribune le député Génération. s apparenté écologiste, Benjamin Lucas. Déchéance de nationalité, droit du sol restreint, promesse d’une réforme de l’AME, mesures de durcissement pour les étudiants étrangers ou accès différencié aux prestations sociales… La liste est longue des mesures concédées à la droite et l’extrême droit pour décrocher leurs voix. «Le texte voté ce soir est un petit pas. Il est loin de la révision constitutionnelle nécessaire à la maîtrise réelle de l’immigration que nous appelons de nos vœux mais acte une incontestable victoire idéologique du RN», a déclaré Marine Le Pen sur les réseaux après le vote.
«C’est l’histoire d’un Président qui s’est fait élire contre l’extrême droite et qui nous propose de voter son programme», a lâché à la tribune la députée communiste Elsa Faucillon, résumant l’état d’esprit d’une bonne partie des parlementaires de gauche. «Certains articles reprennent les mêmes formules, défendues depuis des décennies par le RN», a fustigé l’élue des Hauts-de-Seine, ajoutant : «La contrefaçon raciste n’est jamais préférée à l’originale.» Avant le vote du texte issu de l’accord trouvé en compromis, la motion de rejet préalable défendue par le groupe LFI n’avait pas été adoptée. La présidente du groupe, Mathilde Panot, a étrillé un texte «directement inspiré du programme de Jean-Marie Le Pen». «Certains votes font figure de point de bascule», a-t-elle répété, estimant que «ce qui est en jeu, c’est la République et c’est la France». «Vous votez pour une loi de préférence nationale !», a également tonné Cyrielle Chatelain, présidente du groupe écologiste, sous les applaudissements nourris du RN. Signe que l’arithmétique ne sauve pas tout.