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Négociations

Loi immigration : vers une version très droitisée

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Après une rencontre avec Elisabeth Borne dimanche soir, les patrons de LR exigent de nouvelles concessions avant une commission mixte paritaire ce lundi et un vote incertain dans l’hémicycle mardi.
La Première ministre, Elisabeth Borne, et le président du groupe Les Républicains au Sénat, Bruno Retailleau, à Matignon, en 2022. (Gregoire Elodie/ABACA/Gregoire Elodie/ABACA)
publié le 17 décembre 2023 à 22h43

Toujours pas de fumée blanche sur le projet de loi immigration, après trois heures de huis clos. La majorité et la droite n’ont pas accordé leurs violons malgré une troisième rencontre dimanche soir entre la Première ministre, Elisabeth Borne, le président du parti Les Républicains (LR), Eric Ciotti, et les patrons des sénateurs et députés LR, Bruno Retailleau et Olivier Marleix. «A ce stade, on ne peut pas parler d’accord», a déclaré Ciotti à l’AFP, réclamant à Borne des engagements écrits lundi matin sur un calendrier de réforme de l’aide médicale d’Etat et «un engagement» du gouvernement sur «des moyens accélérés en matière d’éloignement et d’expulsion des clandestins.» Bref, LR n’a pas fini de faire sauter à la corde un gouvernement encore groggy par le rejet, sans débat, de sa loi à l’Assemblée. Si elle veut obtenir un accord à la commission mixte paritaire (CMP) convoquée ce lundi à 17 heures, la majorité va devoir accepter de droitiser fortement sa réforme.

Les négociations peuvent donc encore achopper à tout moment sur les petites lignes du texte. «Ce sera conclusif en commission mixte paritaire, pas avant», insistait-t-on plus tôt dans la journée de dimanche dans l’entourage d’Elisabeth Borne. «Il y a plus de 80 articles dont il faut trouver des rédactions qui conviennent de part et d’autre. Ce n’est pas du détail. Ce n’est jamais du détail, a renchéri la présidente (Renaissance) de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, sur BFMTV. Tant qu’on n’a pas topé, on n’a pas topé.»

«C’est le programme du Rassemblement national»

Quid de l’article 4 bis ajouté par les sénateurs, un dispositif restreignant fortement la possibilité de régulariser les travailleurs étrangers exerçant un emploi dans un secteur en tension ? Le gouvernement semble prêt à franchir ce qui constituait une ligne rouge pour l’aile gauche de la majorité en abandonnant l’idée d’un droit automatique à la régularisation pour ces salariés pouvant justifier d’une activité de huit mois au cours des deux dernières années.

Les sénateurs poussent tout autant leur avantage sur la question des prestations sociales. Ils souhaitent conditionner les allocations familiales à cinq années de présence en France pour les étrangers, contre six mois dans la copie initiale du gouvernement. «Entre six mois et cinq ans, ça veut dire que vous avez la possibilité de négocier», a concédé la ministre des Solidarités et des Familles, Aurore Bergé, sur France 3. «Cela s’appelle la préférence nationale. Et c’est le programme du Rassemblement national», a cinglé sur X (ex-Twitter) le président des députés PS, Boris Vallaud. Darmanin a esquissé un accord épargnant les demandeurs d’asile et les personnes en situation de handicap. «Les demandeurs d’asile en France ne peuvent pas attendre cinq ans pour protéger leurs enfants», a-t-il fait valoir sur BFMTV.

«Une CMP non conclusive, ce serait le mieux»

Même conclusive, une commission mixte paritaire (CMP) ne vaut pas adoption définitive du projet de loi. Toutes les troupes de la majorité comme de la droite ne se sentent pas engagées par les décisions de leurs dirigeants. «Pour être sûr de son coup, l’exécutif doit compter sur un vote massif de LR. Sans quoi l’affaire pourrait se jouer à quelques voix, dans un sens ou un autre», pronostique un député Renaissance opposé à un accord avec LR. Au nom de son «intransigeance», le député LR Aurélien Pradié menace dans le Journal du dimanche de ne pas voter le texte. Le suspense se situe surtout au Modem et au sein de l’aile gauche de Renaissance. Les parlementaires de la majorité étaient d’ailleurs invités à Matignon dimanche soir par Elisabeth Borne. «Les députés du Modem sont très jaloux de leur indépendance et ils ne prennent pas leurs ordres, même pas auprès de leur président», a botté en touche François Bayrou sur RTL. Si ce dernier rejette le terme de «lignes rouges», il juge «inacceptable» de demander aux étudiants étrangers une caution qui ne leur serait remboursée qu’à leur départ du territoire.

Quant à la poignée de députés de l’aile gauche macroniste, leur comportement demeure imprévisible. «Je ne les ai pas trouvés très rebelles», observe un ministre après une réunion du groupe Renaissance mercredi 13 décembre, où seules quatre mains se sont manifestées pour dire qu’elles voteraient contre un texte trop proche de la version du Sénat. «A Renaissance, il y a une bonne trentaine de députés qui hésitent entre abstention et vote contre, jauge l’un d’eux. Ce qui ne veut pas dire que tous franchiront le Rubicon au moment fatidique.» Une pression maximale va s’exercer sur eux dans les prochaines heures. «Après avoir tenté d’imposer ses lignes rouges à une majorité du groupe, l’aile gauche minoritaire dure de 10 à 15 personnes maximum ne va pas avoir d’autre choix que d’accepter le deal, juge un élu de l’aile droite. Le rapport de force interne leur est trop défavorable désormais.» Chaque camp voit midi à sa porte. «Une CMP non conclusive, ce serait le mieux, espère un ministre issu de la gauche. Ça éviterait de diviser la majorité.» Et, en cas de nouveau vote négatif, d’affaiblir l’autorité d’Emmanuel Macron qui a sommé ses troupes vendredi, depuis Bruxelles, de bâtir un «compromis intelligent».