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Hanoukka à l’Elysée : Macron assume une cérémonie «dans un esprit qui est celui de la République»

Le Président a participé, hier à l’Elysée, aux célébrations de la fête de Hanoukka. Une violation manifeste du principe de laïcité dénoncée par une grande partie de la classe politique. En visite sur le chantier de Notre-Dame-de-Paris, le chef de l’Etat n’y voit rien à redire
Haïm Korsia et Emmanuel Macron, le 7 décembre à l'Elysée. (DR)
publié le 8 décembre 2023 à 8h33
(mis à jour le 8 décembre 2023 à 9h33)

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La France est, paraît-il, une République laïque. Enfin ça dépend des fois et Macron l’ignorait peut-être, cette règle apparaissant dans l’article 1er de notre Constitution. Jeudi soir par exemple, notre cher Président de tous les Français a accueilli, à l’Elysée, le grand rabbin de France Haïm Korsia et d’autres représentants du culte juif. La date ne devait rien au hasard puisque le 7 décembre commençaient les célébrations de la fête d’Hanoukka. Et donc, en pleine salle des fêtes de l’Elysée, au cœur du pouvoir politique français, le chef de l’Etat a participé à la cérémonie d’allumage de la première bougie de Hanoukka. La laïcité attendra. En visite vendredi matin sur le chantier de Notre-Dame-de-Paris, le Président assume pourtant : il s’agissait, selon lui, d’une cérémonie «dans un esprit qui est celui de la République et de la concorde».

«Si le président de la République s’était prêté à un geste cultuel, ou avait participé à une cérémonie, ce ne serait pas respectueux de la laïcité. Mais ça ne s’est pas passé» ainsi, a expliqué Emmanuel Macron après être redescendu des échafaudages et visité la nouvelle flèche de la cathédrale parisienne. Estimant que, dans un contexte de montée de l’antisémitisme, il fallait «donner de la confiance» à «nos compatriotes de confession juive», le Président a également plaidé pour «du bon sens et de la bienveillance». Invité au 13h de France 2 à l’occasion d’une émission spéciale en direct de la nef de Notre-Dame, le chef de l’Etat s’est ensuite défendu d’avoir «célébré [une] fête» religieuse. «A l’Elysée, j’ai accueilli des rabbins venant de l’Europe entière qui ont remis à travers moi - à la France, un prix […] célébrant le combat que mène la France contre l’antisémitisme, a-t-il souligné. J’ai allumé la bougie du souvenir et de la mémoire de la Shoah. Ensuite, le grand rabbin, lui, a allumé deux bougies liées à Hanoukka.» Insistant sur «le chemin de l’unité et de la bienveillance» qu’il tente, dit-il de «bâtir», Macron a rappelé une ligne : «Le président de la République ne célèbre aucune fête religieuse. Je ne l’ai pas plus fait hier pas plus que je ne le ferai demain.»

Même la droite s’étrangle

Sauf que depuis la diffusion d’une vidéo par le rabbin de Strasbourg Mendel Samama montrant Macron participer à cette cérémonie, les dénonciations politiques affluent, et de tous les côtés, de gauche et de droite. «Une faute politique impardonnable», pour le coordinateur de LFI Manuel Bompard qui estime que Macron «foule» la laïcité «au pied». «Le président d’une République laïque n’a pas à faire cela. C’est pourquoi ses prédécesseurs ne l’ont pas fait. Macron va-t-il faire de même pour tous les autres cultes ? Certains oui, d’autres non ? Spirale dangereuse. Pas de laïcité à géométrie variable !» a renchéri le député Insoumis Alexis Corbière. «Qui songerait aller à la bénédiction d’une crèche par le curé ou à une prière conduite par un imam ? Ces jours-ci, je décline poliment les invitations à participer à de tels allumages de Hanoukka dans ma circonscription», a ajouté le député PS Jérôme Guedj.

Du côté de la gauche anti-Nupes, on est encore plus virulent. La présidente d’Occitanie Carole Delga et le maire de Montpellier Michaël Delafosse ont vivement réagi aux images de Macron célébrant Hanoukka. «A deux jours de l’anniversaire de la loi de 1905, c’est un mauvais signal envoyé par l’Etat à la République. On ne transige pas avec la laïcité. Ce commun est précieux mais fragile», a commenté la première. «L’Elysée comme les mairies ne peuvent être des lieux de célébration des cultes. Le président de la République doit être le 1er garant de la séparation des Eglises et de l’Etat», a souligné le second. «Macron président, c’est un gamin de 10 ans avec une panoplie du petit chimiste, mais de la vraie nitroglycérine et des vraies allumettes», a ajouté la sénatrice PS Laurence Rossignol.

Même à droite, on s’étrangle, à l’image du maire LR de Cannes, David Lisnard. «Comment peut-on refuser de participer à une marche civique contre l’antisémitisme au motif incongru et fallacieux de la sauvegarde de l’unité nationale, et célébrer une fête religieuse au sein du palais présidentiel ? A ma connaissance, c’est une première. Contraire à la laïcité», a-t-il jugé. Du côté du Crif, on n’a pas semblé touché par le geste : le président du conseil représentatif des institutions juives de France Yonathan Arfi a indiqué vendredi matin sur Sud Radio que la célébration était «une erreur». «Effectivement ce n’est pas la place au sein de l’Elysée d’allumer une bougie de Hanoukka parce que l’ADN républicain c’est de se tenir loin de tout ce qui est religieux.»

Le RN à peine surpris, Darmanin sort les rames

Du côté de l’extrême droite, pour l’heure, c’est plus timide mais il est vrai que, dans ce camp, on a un rapport plus ambigu avec la laïcité dont certains dévoient le sens pour surtout taper sur les musulmans. Sur BFMTV, le porte-parole du RN Laurent Jacobelli a admis que ces images de Macron pouvaient «étonner». «Je crois comprendre pourquoi il fait ça. En ne participant pas à la marche contre l’antisémitisme, Macron a envoyé un signe trouble à nos compatriotes de confession juive», a-t-il ajouté.

Ce vendredi matin sur France Info, le ministre de l’Intérieur – et aussi des cultes – Gérald Darmanin a eu un mal fou à défendre son n + 2. Il l’a d’abord fait en niant qu’il y ait eu, à l’Elysée, une cérémonie religieuse – ce qui est faux. Puis il a expliqué que le chef de l’Etat avait parlé lors des obsèques de Gérard Collomb – aucun lien. Il a ensuite indiqué qu’il était normal que le Président reçoive, comme d’autres élus, des représentants des cultes - ce n’est pas ce qui lui est reproché. Puis il a jugé «un peu absurdes» les décisions de justice interdisant les crèches dans les mairies parce que «ça fait partie de notre vie culturelle». Aristide Briand se retourne dans sa tombe. Puis il a ajouté qu’il était important, selon lui, «au moment où nos compatriotes juifs subissent des actes antisémites», que le Président se tienne aux côtés d’eux. Cela a débouché sur une leçon de laïcité délivrée par Darmanin : «Qu’est-ce que c’est que la laïcité ? C’est la neutralité des agents publics.» Tout à fait. Et c’est bien le problème.

Mise à jour vendredi à 13h58 avec l’intervention d’Emmanuel Macron au 13 heures de France 2.