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Interview

Marie-Pierre de La Gontrie, sénatrice PS : «Le gouvernement offre des réponses simplistes et populistes à des situations dramatiques»

Spécialiste des questions de libertés publiques, la socialiste Marie-Pierre de La Gontrie dénonce le souhait du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, de déroger à la Convention européenne des droits de l’homme en matière d’expulsions d’étrangers.
Marie-Pierre de La Gontrie à Montrouge, le 11 septembre 2023. (Denis Allard/Libération)
publié le 15 octobre 2023 à 17h19

Sénatrice PS de Paris, Marie-Pierre de La Gontrie critique les positions affichées samedi en conférence de presse par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, après l’attentat d’Arras.

Le ministre de l’Intérieur a dit «assumer» une condamnation de la Cour européenne des droits de l’homme pour avoir repris les expulsions de Tchétchènes fichés S vers la Russie. «Plus rien n’arrête le discours populiste», avez-vous affirmé en réaction. Pour quelles raisons ?

Comment est-on arrivé à un moment de notre histoire où le ministre de l’Intérieur de la patrie des droits de l’homme peut tenir de tels propos ? J’ai eu la chance de travailler avec Pierre Joxe à Beauvau [ministre de l’Intérieur de 1984 à 1986 puis de 1988 à 1991, ndlr] : lui avait fait afficher la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dans tous les commissariats de France. Ce que fait Gérald Darmanin est indigne. Comme souvent, il prend les Français pour des benêts : 75 % des auteurs d’attentats commis ou déjoués sont français. Salah Abdeslam est français ! Croire que l’on va régler le problème de la menace terroriste en expulsant des fichés S, c’est mentir aux gens.

Cette déclaration du ministre de l’Intérieur prouve-t-elle qu’à la faveur des attentats, les positions historiques de l’extrême droite gagnent du terrain ?

Cela démontre surtout que, comme souvent, ce gouvernement propose des réponses simplistes et populistes pour répondre à des situations dramatiques. La réalité est qu’on n’arrive à faire exécuter que 10 % des obligations de quitter le territoire français (OQTF). Gérald Darmanin raconte des histoires : expulser en Russie des personnes qui encourent des traitements dégradants c’est violer des conventions internationales que la France a signées. C’est honteux. Il y a toujours chez lui ce côté bravache, viriliste. Mais comment un ministre peut-il ensuite demander aux gens de respecter la loi si lui-même s’en exonère ? C’est choquant.

Cela met-il la gauche sous pression avant l’examen du projet de loi immigration, début novembre au Sénat ?

Non. Nous pouvons voter des textes à condition qu’ils respectent les droits humains et qu’ils servent à quelque chose ! Ce n’est pas le cas de ce texte et nous ne sommes pas les seuls à le dire. La question que nous devons nous poser est : à partir de quand doit-on transiger sur les principes fondamentaux pour une quête d’une sécurité absolue inatteignable ? Aujourd’hui cette exigence est difficile à entendre pour beaucoup de personnes…

Autre sujet actuel qui concerne les libertés publiques : les interdictions de manifester pour dénoncer les frappes israéliennes sur les civils à Gaza… Cela vous choque ?

Ça ne me choque pas si c’est sur une période très courte compte tenu des risques de trouble à l’ordre public. Mais il ne faut pas que ce qui est censé être temporaire devienne permanent.