Figé, l’hémicycle respecte une minute de silence. «Notre nation est endeuillée à chaque fois qu’un serviteur de l’Etat perd la vie dans l’exercice de ses fonctions», vient d’exprimer la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, à l’ouverture de la séance de questions au gouvernement. Au perchoir, l’élue des Yvelines évoque les deux pompiers retrouvés morts ce mardi 10 juin à Laon (Aisne), ensevelis sous les décombres d’un immeuble, et la surveillante de 31 ans du collège Françoise-Dolto de Nogent (Haute-Marne), poignardée par un élève dans la matinée. Des «drames effroyables», s’émeut l’élue des Yvelines.
Au banc des ministres, François Bayrou déplore à son tour «deux drames», qui «illustrent le dévouement des uns au mépris des risques, et l’évolution de la société dans laquelle nous vivons, qui entraîne d’autres types de drames». La surveillante travaillant au collège de Nogent a été poignardée peu avant 8 heures, «à l’arrivée des élèves au moment d’un contrôle visuel des sacs en présence de la gendarmerie», a précisé le rectorat dans un communiqué. Le collégien a été placé en garde à vue à la gendarmerie de Nogent et les 324 élèves de l’établissement ont été confinés, a précisé la préfecture.
Attaque frontale
Pour le Premier ministre, «les armes blanches, les couteaux, sont en train de devenir parmi les jeunes et les très jeunes enfants […] une réalité de tous les jours». Face à cette «dérive de la société», qui n’est pas un «fait isolé», Bayrou veut prendre des «décisions supplémentaires et nouvelles pour que nos enfants et ceux qui travaillent avec eux puissent être au minimum en sûreté». S’il rappelle que les contrôles ont été «multipliés» à l’entrée des établissements, le locataire de Matignon entend «construire des règles et une réponse pénale qui puisse aller dans le sens de la dissuasion». Il veut également travailler sur la santé mentale «des plus jeunes». Et annonce surtout une «expérimentation» sur les portiques de détection d’armes à l’entrée des établissements scolaires. Une politique sécuritaire déjà testée par Laurent Wauquiez (LR) en Auvergne-Rhône-Alpes – son idée avait été revue à la baisse avec la mise en place de tourniquets avec badge à la place des portiques.
Qu’importe si l’ex-patron de la collectivité s’était attiré les critiques de tous bords : l’exécutif se sait sous pression de son allié de droite, Les Républicains, et de l’extrême droite. A l’Assemblée, Marine Le Pen dénonce un «nouveau drame [qui] vient de toucher l’école». «Les mots n’ont jamais suffi, les mots ne suffisent pas, les mots ne suffiront pas», égrène la patronne du groupe Rassemblement national, qui s’en prend à Emmanuel Macron, en évoquant «un drame, pas un fait divers sur lequel on peut brainwasher [laver le cerveau, ndlr]». Une référence aux propos du chef de l’Etat samedi, en marge du sommet international sur les océans à Nice, lorsqu’il a attaqué ceux qui «voudraient faire oublier le combat pour le climat» et qui «préfèrent brainwasher sur l’invasion du pays et les derniers faits divers». L’attaque est frontale mais ne prend pas. Quasiment éteint, l’hémicycle ne gronde pas. Pas de cris ni d’invectives. Comme si les faits étaient trop graves. «L’ampleur de la vague, nous la connaissons tous», répond seulement François Bayrou, parlant d’une «décomposition de la société dans laquelle nous vivons».
Le billet de Jonathan Bouchet-Petersen
Si Le Pen reprend à son compte les mots du ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, ciblant des «barbares», le patron du parti, Jordan Bardella, a dénoncé, lui, le «mépris d’en haut» et le «déni» de l’exécutif. «Voilà où mènent le laxisme et l’absence de fermeté», a enfoncé Laurent Wauquiez sur les réseaux.
Proche d’Edouard Philippe, la vice-présidente de l’Assemblée, Naïma Moutchou, parle depuis l’hémicycle d’un «fléau» : «C’est l’ennemi public numéro un.» La députée du Val-d’Oise avait été missionnée sur un rapport après la mort de Lorène, lycéenne tuée à Nantes fin avril. Selon ses conclusions, la détention d’armes blanches par des mineurs est devenue un «phénomène» touchant «n’importe quel territoire». Face au Premier ministre, la députée a rappelé certaines de ses recommandations, comme le déploiement de la vidéosurveillance à l’entrée des établissements, l’interdiction des téléphones à l’école, le déferrement systématique des auteurs ou l’instauration de peines minimales. Chez La France insoumise comme au Parti socialiste, l’accent a été mis, après le drame, sur la prise en charge de la santé mentale des jeunes.