C’est ce qui s’appelle éviter un sujet qui fâche entre « amis », alors que le pays est confronté à de grands choix énergétiques pour sécuriser son approvisionnement en énergie décarbonée dans les décennies à venir et atteindre ses objectifs de réduction des gaz à effet de serre. Emmanuel Macron, lui, a déjà tranché en faveur de la construction de six nouveaux réacteurs EPR qui doivent entrer en service à l’horizon 2035-2040. Mercredi lors de sa conférence de presse, le chef de l’Etat a même promis d’annoncer «dès l’été les grands axes pour les huit prochains». Mais le programme du Nouveau Front populaire ne fait aucune référence à l’énergie nucléaire, hormis «revenir sur la fusion entre l’ASN et l’IRSN» jugée dangereuse pour la sûreté des centrales françaises. Il se contente de promettre «une loi énergie climat» qui «permettra de jeter les bases de la planification écologique» sans en dire plus, à ce stade, de la place de l’atome dans le futur mix énergétique. Rien d’étonnant à cela : les lignes de fracture restent très vives sur le sujet entre les différentes composantes de la gauche.
Ligne productiviste
D’un côté, le Parti socialiste (PS) n’en est plus à vouloir fermer de nouveaux réacteurs après l’arrêt de la centrale de Fessenheim décidée par François Hollande. A l’occasion du vote de la loi de relance du nucléaire, le 16 mai 2023, les députés socialistes, qui s’étaient opposés au texte en première lecture, se sont prudemment abstenus, après avoir décrit l’atome comme une «énergie de transition» vers les renouvelables. De l’autre côté, La France insoumise et les Verts, qui militent toujours pour une sortie de l’atome et le passage à 100 % d’énergies renouvelables à partir de 2045, ont voté contre. Ils ont même demandé sans succès la censure du texte par le Conseil constitutionnel en pointant notamment «la suppression de l’objectif de réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % à l’horizon 2035». Seuls les communistes, dont le parti est historiquement pro-nucléaire, ont voté pour.
Depuis, on a rarement entendu le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, sur ce sujet qui divise les socialistes. Raphaël Glucksmann s’est montré beaucoup plus clair : «La rationalité nous oblige à accepter une part de nucléaire dans le mix énergétique. On ne peut pas aller aujourd’hui au 100 % renouvelable», a-t-il déclaré dans une interview à Reporterre. Le PCF, fidèle à sa ligne productiviste, qui est aussi celle de la puissante fédération CGT-Energie, reste un fervent partisan des nouveaux réacteurs EPR, avec le nucléaire comme bras armé d’un puissant service public de l’énergie. Lors du débat du 14 mars, le communiste Léon Deffontaines a qualifié les militants antinucléaires d’«écologistes du passé», visant ses concurrentes à gauche Manon Aubry et Marie Toussaint.
Synthèse impossible ?
A l’inverse, au cours du débat du 21 mai, la première a réaffirmé l’objectif des insoumis de parvenir au «100 % renouvelables» à l’horizon 2045, a estimé «que le nucléaire ne permettra pas de sauver le climat». Et Manon Aubry s’est dite «contre l’ouverture de nouveaux EPR», évoquant les problèmes de gestion des déchets et des ressources en eau. Chez les Verts, la position de principe antinucléaire est en revanche remise en débat par la course contre la montre climatique. Si «l’engagement en faveur de la sortie du nucléaire» reste inscrit dans les statuts du parti Les Ecologistes, les militants les plus jeunes s’interrogent sur le fait de se priver totalement de cette source d’énergie zéro carbone. «Aujourd’hui, une partie des personnes convaincues de leur engagement climatique considère le nucléaire comme une option», avait reconnu Yannick Jadot, candidat écologiste à la présidentielle de 2022. La tête de liste écologiste aux européennes, Marie Toussaint, a admis le 4 juin ne pas vouloir «fermer toutes les centrales aujourd’hui».
Si la gauche unie emportait une majorité aux législatives, le futur chef de gouvernement aurait bien du mal pour arriver à une synthèse. En revanche, toute la gauche s’accorde sans surprise sur l’objectif de contraindre les banques au «zéro financement pour les énergies fossiles» avec les nouveaux projets pétroliers de TotalEnergies dans le collimateur. Et le soutien aux énergies renouvelables rassemble : le Front populaire veut «faire de la France le leader européen des énergies marines avec l’éolien en mer et le développement des énergies hydroliennes» et «renforcer la structuration de filières françaises et européennes de production d’énergies renouvelables».
Et tout le monde est d’accord pour «refuser la privatisation des barrages hydroélectriques» d’EDF voulue par la Commission européenne et enrayer la flambée des factures d’énergie : le Nouveau Front Populaire veut «abolir» la nouvelle hausse de 10 % des prix de l’électricité du 1er février, qualifiée de «taxe Macron», et «annuler» la hausse de 11,7 % des prix du gaz prévue le 1er juillet. Une mesure qui s’annonce évidemment populaire, les Français étant bien plus préoccupés aujourd’hui par les prix de l’énergie que par la manière dont elle est produite.