Deux mois et demi après le deuxième tour des élections législatives, la France va enfin connaître son nouveau gouvernement. La composition de celui-ci devrait être annoncée «avant dimanche», ont fait savoir les services du Premier ministre, Michel Barnier, dans la foulée d’une réunion avec Emmanuel Macron ce jeudi 19 septembre dans la soirée. Dernier étape : les «vérifications déontologiques habituelles», comme les appelle Matignon, c’est-à-dire le feu vert de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Explications.
Qu’est-ce que la HATVP ?
C’est une autorité administrative indépendante, qui a vu le jour en janvier 2014 en remplacement de la Commission pour la transparence financière de la vie politique. C’est l’affaire Jérôme Cahuzac (du nom de ministre du Budget qui avait dissimulé des fonds sur un compte en Suisse et avait menti publiquement sur le sujet) qui avait poussé François Hollande à créer ce nouvel organisme pour renforcer la transparence de la vie publique. Sa mission : contrôler le patrimoine des élus et leurs éventuels conflits d’intérêts. La HATVP est aujourd’hui constituée de douze membres, dans le respect de la parité. Six experts indépendants sont issus des rangs de la Cour de cassation, du Conseil d’Etat et de la Cour des comptes. Les six autres membres sont nommés par les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat pour quatre d’entre eux, les deux derniers étant désignés par le gouvernement. Les membres de l’instance ne sont ni renouvelables ni révocables, ne peuvent en théorie recevoir d’ordre de la part d’aucune autorité, sont tenus au secret professionnel et à un strict devoir d’impartialité.
Enquête
Comment fonctionnent les contrôles de la HATVP ?
Depuis 2017 et l’adoption au début du premier quinquennat d’Emmanuel Macron de la loi pour la confiance dans la vie politique, la HATVP peut être appelée par le président de la République à rendre un avis a priori sur la nomination des membres du gouvernement. «Cette procédure informelle se déroule dans un délai contraint, qui ne dépasse généralement pas vingt-quatre heures et à partir des éléments que la Haute Autorité a déjà en sa possession, essentiellement les déclarations de patrimoine et d’intérêts qu’ont pu déposer les membres de gouvernement pressentis en tant qu’élus ou responsables publics», explique l’instance sur son site internet.
La HATVP étudie donc les biens immobiliers des potentiels futurs ministres, la liste de leurs comptes bancaires, dettes, emprunts et actions, leurs activités bénévoles, leur éventuelle participation à un conseil d’administration, les activités professionnelles de leur conjoint. Elle vérifie les documents transmis et échange aussi avec le fisc. Elle indique ensuite si «la personne a satisfait ou non à ses obligations déclaratives», et si elle «se trouve dans une situation qui pourrait générer ou avoir généré un conflit d’intérêts». Ses recommandations n’ont pas de valeur contraignante pour le chef de l’Etat.
Une fois le gouvernement installé, la HATVP opère un contrôle plus poussé au terme duquel elle se prononce sur «le caractère exact, exhaustif et sincère des déclarations et sur l’existence possible de risques de conflits d’intérêts, leur intensité et les moyens d’y remédier, par exemple par un déport du ministre concerné». Quand elle en a terminé, elle publie en ligne les déclarations des ministres.
A lire aussi
Les précédents : Thomas Thévenoud, Jean-Paul Delevoye, Caroline Cayeux et les autres
A plusieurs reprises – cinq au total – les contrôles de la HATVP ont fait tomber des ministres en exercice. Le premier d’entre eux fut le socialiste Thomas Thévenoud, éphémère secrétaire d’Etat au Commerce extérieur, démissionnaire neuf jours après son entrée en fonction, en septembre 2014. Le gendarme de la transparence avait révélé qu’il ne payait plus ses impôts depuis plusieurs années. La dernière en date est Caroline Cayeux, ministre déléguée en charge des Collectivités territoriales au début du deuxième quinquennat d’Emmanuel Macron, à laquelle la HATVP avait reproché d’avoir transmis une déclaration de patrimoine «sous-évaluée». Trois autres ministres macronistes ont entretemps démissionné après des signalements de l’autorité indépendante : la ministre des Sports Laura Flessel en 2018, le haut-commissaire aux Retraites Jean-Paul Delevoye en 2019, et le ministre délégué chargé des PME Alain Griset, qui aura attendu sa condamnation pour «déclaration incomplète ou mensongère» de sa situation patrimoniale pour quitter le gouvernement en 2021.
L’inconnue Didier Migaud : comment contrôler le contrôleur ?
Depuis 2020, la HATVP est présidée par Didier Migaud, ancien président de la Cour des comptes et député de l’Isère, venu du Parti socialiste qu’il a quitté il y a près de quinze ans. Or, celui-ci est pressenti pour intégrer le futur gouvernement, au ministère de la Justice. Comment l’instance chargée de la prévention des conflits d’intérêts pourrait-elle contrôler son propre président ? Sur son site internet, il est précisé que «les membres de la Haute Autorité ne peuvent pas prendre part aux délibérations, vérifications ou contrôles concernant une personne ou un membre d’un organisme à l’égard duquel ils détiennent ou ont détenu, au cours des trois dernières années, un intérêt». Un tel cas de figure, dans lequel un potentiel futur ministre est un membre incontournable de l’instance, n’est évidemment pas évoqué. Mystère, donc.