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Nouvelle-Calédonie : à quoi serviraient une révision de la Constitution et le «dégel» du corps électoral ?

Le projet du gouvernement d’ouverture du corps électoral lors des prochaines élections provinciales, déjà voté au Sénat et en discussion à l’Assemblée ce mardi 14 mai, suscite des réactions violentes dans le territoire du Pacifique.
Le drapeau kanak. (Delphine Mayeur/Hans Lucas)
publié le 2 avril 2024 à 15h19
(mis à jour le 14 mai 2024 à 9h58)

Une nuit de violences et un couvre-feu instauré à près de 17 500 km de Paris, où un vote doit déterminer une partie de l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie ce mardi 14 mai. Déjà votée par le Sénat au début du mois, une réforme constitutionnelle, afin de dégeler le corps électoral du scrutin provincial du territoire du Pacifique, est en cours de discussion à l’Assemblée nationale. Porté par le gouvernement, le texte exacerbe les tensions entre loyalistes et indépendantistes sur l’archipel. Pourquoi faut-il réviser la Constitution ? Que réclament les mouvements indépendantistes de l’archipel ?

Quelle est la situation actuelle ?

Décisive en Nouvelle-Calédonie, où les trois provinces détiennent une grande partie des compétences, l’élection provinciale répond à une organisation atypique, issue de l’accord de Nouméa signé en 1998 puis d’une réforme constitutionnelle de 2007. Conformément à l’article 77 de la Constitution, le corps électoral de ce scrutin est en effet gelé : il se limite essentiellement aux électeurs inscrits sur les listes lors du référendum d’autodétermination de 1998 et à leurs descendants, excluant de facto les résidents arrivés après 1998 et de nombreux natifs.

Au fil des ans, ces conditions restrictives ont fait augmenter la proportion d’électeurs privés de droit de vote au scrutin provincial alors qu’ils sont autorisés à voter aux élections nationales (présidentielle, municipales…). En 2023, cela concernait ainsi près d’un électeur sur cinq, contre seulement 7,5 % en 1999.

Une situation «contraire aux principes démocratiques et aux valeurs de la République», déplore le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, chargé du dossier calédonien depuis qu’il a récupéré le portefeuille des Outre-mer en 2022.

Que propose le gouvernement ?

Pour y remédier, le gouvernement souhaite dégeler le corps électoral avec un système toujours restreint mais «glissant», en l’ouvrant à tous les natifs et les personnes domiciliées sur le territoire calédonien depuis au moins dix ans.

Environ 25 000 électeurs pourraient alors intégrer la liste électorale.

Pourquoi la révision est-elle décriée ?

Si le principe du dégel du corps électoral fait plutôt consensus au Parlement, la méthode est mise en débat. La gauche et les indépendantistes dénoncent un «passage en force» du gouvernement ou encore une mise sous «pression» des parties locales en vue d’aboutir à un accord. «Ce projet de loi confirme l’adage “diviser pour mieux régner”», s’est indigné le sénateur indépendantiste Robert Xowie.

«Il n’y a aucune urgence à légiférer», pointe la socialiste Corinne Narassiguin, qui plaide pour un report des élections actuellement prévues d’ici au 15 décembre. «Ce préalable imposé par le gouvernement est perçu comme une commande des loyalistes et cela renforce les tensions», ajoute-t-elle.

Gérald Darmanin défend lui une logique inverse : «C’est bien le projet de loi constitutionnelle et son avancée qui permettent l’accord», a-t-il déclaré devant les sénateurs, avec l’espoir que les postures se débloquent.

Dans son projet initial, l’exécutif entend néanmoins laisser une chance aux négociations locales entre loyalistes et indépendantistes, actuellement au point mort. Ainsi, si un accord global sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie est trouvé localement d’ici au 1er juillet 2024, la révision constitutionnelle sera suspendue au profit de la mise en œuvre de cet accord.

Que prône le Sénat ?

Lors de son examen à la chambre haute ces derniers jours, le texte gouvernemental a été nettement remodelé par la majorité sénatoriale, une alliance entre la droite et les centristes. Si le principe du dégel du corps électoral aux natifs et résidents installés depuis dix ans a été approuvé, les modalités d’application de cette réforme ont été modifiées.

Le Sénat a notamment supprimé «l’ultimatum» gouvernemental du 1er juillet, en ouvrant la possibilité pour les parties locales d’aboutir à un accord jusqu’à dix jours avant les prochaines élections provinciales, ce qui reporterait le scrutin. L’objectif étant de donner «toutes leurs chances» aux négociations locales.

Autres modifications particulièrement agaçantes pour le gouvernement : l’obligation de repasser devant le Parlement – où la majorité macroniste est en difficulté― pour acter les modalités d’inscription sur les listes électorales, qui ne sont pas détaillées dans la loi actuellement examinée, alors que l’exécutif espérait le faire par décret.

Quelles suites au Parlement ?

L’adoption d’une réforme constitutionnelle est loin d’être aisée pour le gouvernement, surtout dans une situation de majorité relative à l’Assemblée nationale. Le texte amendé par le Sénat, adopté ce mardi, devra ensuite l’être à l’identique par l’Assemblée. Sinon, la moindre modification sémantique entraînera une nouvelle navette parlementaire.

En cas de vote «conforme» entre les deux chambres, la révision constitutionnelle sera enfin soumise à tous les parlementaires réunis en Congrès à Versailles au début de l’été. Une majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés sera alors nécessaire.

Mise à jour le 14 mai à 9h50, avec l’ajout des tensions en Nouvelle-Calédonie et des discussions en cours à l’Assemblée nationale.