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Vu du Nord

«On nous met à la poubelle par un simple courrier» : le Nord tourne le dos à l’insertion par la culture

Le conseil départemental a choisi de couper ses budgets destinés à financer des actions de réinsertion sociale par la culture. Jeudi 4 mars, au théâtre de la Verrière à Lille, plusieurs responsables associatifs ont alerté sur le risque de désocialisation d’une partie de la population.
Le théâtre de la Verrière, le 16 fevrier 2021, à Lille. (Thierry Thorel/La Voix du Nord.Maxppp)
par Clémence de Blasi, Correspondance à Lille
publié le 4 avril 2024 à 17h46

«J’ai longtemps été une personne très, très timide, je restais enfermé chez moi. La culture m’a beaucoup aidé ; elle m’a appris à aller vers les gens et à trouver un emploi.» Hervé Guttin, agent d’entretien, s’en excuse presque : «J’ai eu une vie un peu difficile, ça m’a fait perdre beaucoup de confiance en moi.» Puis il y a eu le théâtre, le chant, les sorties proposées par l’association FCP (formation-culture-prévention) qui a appris à lire et écrire, voilà cinq ans, à cet homme de 59 ans. Le Nordiste discret s’est révélé, laissant derrière lui ses années au RSA.

Comme cet habitant de La Madeleine, commune de la métropole lilloise, plusieurs bénéficiaires de ce type d’actions, de travailleurs sociaux et d’éducateurs sont venus témoigner au théâtre lillois de la Verrière, jeudi 4 avril 2024, de leur «incompréhension», leur «colère» et leur «révolte» face à une décision jugée brutale : celle du désengagement financier du conseil départemental du Nord des réseaux insertion et culture.

«Souci d’optimisation de la gestion des budgets»

Dans une lettre envoyée fin février aux présidents des structures associatives porteuses de ces projets, la collectivité dirigée par la droite indique avoir fait le choix d’une «priorisation au retour à l’emploi des allocataires du RSA». Les subventions versées jusqu’alors, de l’ordre de 650 000 euros par an, finançaient notamment les salaires d’une petite dizaine de postes de médiateurs culturels et les artistes associés au montage de différents projets. Celles-ci seront «maintenues à hauteur de 50 % de leur montant 2023 en 2024 pour s’arrêter en 2025», prévient l’institution, qui vient d’adopter son budget 2024 (3,8 milliards d’euros).

«Cette orientation ne constitue en aucun cas une dépréciation du travail mené depuis des années au sein des réseaux d’insertion par la culture mais intervient dans une période où des choix doivent être faits dans un souci d’optimisation de la gestion des budgets de la collectivité», déroule la missive signée de la vice-présidente du département chargée du retour à l’emploi et de l’insertion, Doriane Bécue (également maire de Tourcoing, ville de Gérald Darmanin), et son homologue à la culture, Martine Arlabosse.

«On nous met à la poubelle par un simple courrier, s’indigne la directrice du centre culturel de Fourmies, Céline Badie. Cette décision est une erreur, d’autres solutions auraient pu être trouvées. Ce qui nous met en colère, c’est qu’on n’a même pas été conviés à la réflexion !»

«Passerelle vers une resocialisation»

Entre les murs du théâtre lillois, l’émotion affleure ; dans l’assemblée, plusieurs répriment leurs pleurs. Faute de financements, les premiers licenciements économiques de médiateurs culturels sont en cours. Leurs structures, fragilisées, vont devoir repartir à la chasse aux subventions et répondre à des appels à projets dans l’espoir de pouvoir continuer à mener à bien leurs missions.

«La situation est déchirante, souligne Patrick Dallongeville, directeur de l’association Arcane, active à Tourcoing et dans la vallée de la Lys. La culture, c’est souvent la première passerelle vers une resocialisation sans laquelle il n’y a pas d’insertion professionnelle possible. Et quand on retire la passerelle, on laisse forcément des gens à quai…»