Menu
Libération
Bugs

Panne et messageries cryptées : une nuit agitée pour l’Assemblée sur le narcotrafic

Une rarissime panne technique a empêché de comptabiliser les votes des députés jeudi soir dans l’hémicycle. Les élus ont finalement voté, à l’ancienne, contre la levée de la confidentialité des messageries cryptées dans la lutte contre les trafiquants de drogue.
Une panne du système a empêché la comptabilisation des votes. Durant une heure, les services ont tenté de le réparer, en vain. (Xose Bouzas/Xose Bouzas)
publié le 21 mars 2025 à 7h55

Les députés ont décidé de maintenir jeudi 20 mars la confidentialité des messageries cryptées, Bruno Retailleau échouant à les convaincre du bien-fondé d’une mesure pour lutter contre les trafiquants de drogue, au terme d’un vote perturbé par une rarissime panne technique. Le ministre de l’Intérieur souhaitait initialement pouvoir imposer aux plateformes de messagerie chiffrée (Signal, WhatsApp…) de communiquer les correspondances des trafiquants aux services de renseignement.

Mais les députés avaient supprimé cette mesure – qui agrège contre elle de nombreux acteurs et experts de la cybersécurité – en commission des lois la semaine dernière. Il existe à leurs yeux un risque trop important de créer une faille qui mette en danger les conversations de l’ensemble des utilisateurs. Dans l’hémicycle, trois députés du bloc central ont proposé une réécriture de l’article, prenant en compte selon eux les «inquiétudes» soulevées. Mais sans réussir à convaincre, y compris plusieurs députés de leur camp.

Après des débats houleux, où le ministre de l’Intérieur a été accusé de vouloir faire revenir sa mesure «par la fenêtre», et les députés auteurs des amendements d’être ses «porte-flingues», l’Assemblée a procédé au vote par scrutin public.

Impossible de compter les votes

Mais une panne du système a empêché la comptabilisation des votes. Durant une heure, les services ont tenté de le réparer, en vain. Certains députés se sont même interrogés sur la possibilité d’un piratage. «Nous ne sommes pas victimes d’un dysfonctionnement lié à la sécurité informatique», a rassuré la vice-présidente Naïma Moutchou à la reprise de la séance. «C’est une petite pièce du système qui a chauffé… sous la tension», a-t-elle précisé, rieuse.

L’Assemblée a procédé à une autre forme de scrutin public, plus laborieuse : durant une demi-heure, Naïma Moutchou a appelé le nom de chacun des 577 députés. Charge aux élus de répondre pour ou contre au micro. Peu avant minuit, la présidente a annoncé le résultat qui ne faisait plus grand doute : 119 voix contre, 24 pour.

Un revers pour le ministre de l’Intérieur, qui avait pourtant bien commencé la soirée, avec le vote d’une mesure peu consensuelle : le recours, dans le cadre d’une expérimentation, au renseignement algorithmique pour détecter des menaces liées à la criminalité organisée. Les députés insoumis, écologistes et communistes se sont succédé au micro pour dénoncer un nouveau pas «vers une surveillance généralisée». «Ce sont des filets extrêmement larges qui seront jetés sur nos vies privées et sur notre liberté d’opinion, d’expression, d’aller et venir», a fustigé la députée LFI Elisa Martin.

Dans le même temps, ces élus déploraient de n’avoir reçu aucun des rapports, prévus dans la loi, pour évaluer l’efficacité de cette surveillance algorithmique, déjà autorisée pour la prévention du terrorisme et des ingérences étrangères. Au contraire, «il s’agit de pêche à la ligne», a défendu Bruno Retailleau, vantant un important dispositif de contrôle. «C’est encadré, c’est ciblé.»

LFI en accord avec le régime des «repentis»

Plus tôt dans la journée, c’est un autre ministre qui était au banc pour défendre cette loi sénatoriale contre le narcotrafic. Le garde des Sceaux, Gérald Darmanin, a vécu des échanges plus apaisés, et l’hémicycle a même assisté à une rare entente entre le garde des Sceaux et des députés de LFI autour de la refonte du régime des «repentis». «S’il y a au moins un dispositif avec lequel on est d’accord, c’est celui-ci», a dit le député LFI Antoine Léaument, auteur d’un récent rapport recommandant une légalisation du cannabis.

A l’unanimité, les députés ont voté pour un régime plus attractif qui prend modèle sur la loi antimafia italienne. On compte en France 42 «repentis» contre près d’un millier en Italie, selon les chiffres donnés par le ministre. Or «si on ne fait pas parler les gens qui sont dans les organisations criminelles, nous n’aurons pas d’informations» pour les démanteler.

Avec le nouveau dispositif, les «repentis» pourraient voir leur peine réduite jusqu’aux deux tiers. Il est également élargi aux personnes ayant commis un crime de sang. Un décret d’application doit dessiner plus précisément ses contours (nouvelle identité, famille, aménagements de peines, etc.). Le ministre s’est engagé à travailler en concertation avec les parlementaires sur son écriture. Les débats sur le texte se poursuivront vendredi à l’Assemblée.