«Qu’attendez-vous pour reconnaître le fléau des punaises de lit comme un problème de santé publique ?» En 2020, la députée insoumise Mathilde Panot interpellait (encore) le gouvernement au Parlement en décrivant «l’enfer quotidien [qui] est celui de centaines de milliers de familles dans notre pays.» Trois ans plus tard, et alors que l’élue du Val-de-Marne porte ce sujet depuis 2017, les punaises de lit font la une des journaux. La présidente du groupe la France insoumise (LFI) à l’Assemblée nationale, qui présente ce mardi une nouvelle résolution, met en garde : «A force de laisser les gens se dire que c’est un problème individuel, j’ai peur qu’on en arrive à des situations où les gens qui ne peuvent pas faire appel au privé mettent leur santé en danger.»
Estimez-vous que le problème des punaises de lit relève de la santé publique ?
Oui. C’est même un problème de santé mentale. Je l’ai vu quand je travaillais dans l’associatif à la Grande Borne, à Grigny (Essonne). Des gens n’arrivaient plus à dormir, ils étaient sous antidépresseurs, en situation d’hypervigilance… Certains avaient envoyé leurs enfants vivre ailleurs, ils ne recevaient plus aucun ami. J’ai vu des familles entières dormir par terre, des gens qui condamnent une pièce trop infestée avec du scotch autour de la porte. Cela crée de la psychose. C’est peut-être une des raisons pour laquelle le gouvernement a refusé que ce soit considéré comme un problème de santé publique. C’est moins visible.
Vous avez alerté dès 2017, sans réaction du gouvernement ?
J’ai commencé à en parler en 2017. En juillet 2019, je fais une conférence de presse avec l’association Droit au logement et des syndicats de locataires, et on lance une campagne. Je vais moi-même désinsectiser chez des gens. Mais ça ne provoque aucune réaction, si ce n’est beaucoup de moqueries. En novembre, je présente une résolution avec des propositions. Et là le pouvoir donne une mission à une parlementaire de la majorité qui arrivera quasiment aux mêmes conclusions que les miennes. Il y a finalement un premier plan, avec seulement un numéro vert et un site dédié qui n’existe plus. En 2022, il y a enfin un plan interministériel, mais aucune mesure contraignante. Même le travail d’information est mal fait, il n’y a qu’à voir la psychose actuelle : il y a beaucoup de faux cas, les gens ne savent pas bien identifier.
Pourquoi, selon vous, le sujet n’a-t-il pas été pris au sérieux ?
Ce n’est pas considéré comme noble. Et il y a une méconnaissance. En 2019, j’avais eu un rendez-vous au ministère du Logement, et Julien Denormandie [le ministre de l’époque, ndlr] avait dit lui-même qu’il avait eu des punaises, donc il y était sensible. Mais ça avait bloqué du côté du ministère de la Santé. Moi, j’ai été chez des centaines de famille touchées. J’ai immédiatement compris que c’était un sujet politique. Eux n’ont jamais saisi le phénomène.
Vous parlez de déconnexion, mais le phénomène ne touche pas seulement les classes populaires.
Non, et il faut redire que ça touche tout le monde et que ça n’a rien à voir avec l’hygiène. Mais le problème c’est que le coût moyen de désinfection est de 866 euros. Donc, dans les milieux populaires, beaucoup de gens ne peuvent pas traiter. Je veux lancer une alerte : il y a une conjonction entre l’inaction du gouvernement et les températures douces de ce mois de septembre qui favorisent la ponte, ce qui risquent de provoquer une explosion. Avec l’inflation, de plus en plus de gens vont passer par leurs propres moyens pour s’en débarrasser. J’ai vu des gens finir à l’hôpital car ils avaient utilisé des fumigènes… Dans ma circonscription, il y a des ruptures de stock de terre de diatomée. C’est assez efficace, ça tue les insectes en les coupant mais, du coup, quand vous la respirez, ça a le même effet sur vos bronches. A force de laisser les gens se dire que c’est un problème individuel, j’ai peur qu’on en arrive à des situations où les gens qui ne peuvent pas faire appel au privé mettent leur santé en danger.
Vous appelez donc à la mise en place d’un plan d’urgence. Que préconisez-vous ?
Parmi les pistes envisagées, il y a celle de faire payer les assurances habitations. Mais elles risquent ensuite d’augmenter les tarifs, donc ce n’est pas ce que je préconise. Je propose la mise en place d’un service public de désinsectisation, qui pourrait être municipal. D’abord, c’est l’assurance que tout le monde puisse traiter et ensuite, c’est une garantie sur les méthodes. Car non seulement les entreprises privées proposent des prix prohibitifs mais, en plus, elles utilisent des produits chimiques nocifs pour les habitants, pour l’environnement, et de plus en plus inefficaces car les punaises sont de plus en plus résistantes. Il faut faire ce qui a été fait à New York : des chariots thermiques que vous emmenez dans les logements et qui font monter la température pour tuer les punaises.
Ce service serait donc financé par l’Etat ?
Selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, les punaises, c’est, entre 2017 et 2022, 1,4 milliard d’euros pour les ménages. Soit 230 millions par an en moyenne. Pour des familles, c’est énorme, mais à l’échelle d’un Etat, ce n’est rien… Il faut considérer que c’est un problème national, pas individuel. Nous sommes à un moment de bascule. Tous les lieux du quotidien sont en train d’être infestés. Si on ne prend pas cette question avec sérieux, ça va devenir incontrôlable.