Menu
Libération
Probité

Pourquoi Didier Migaud, le patron de la HATVP, fustige les coups de rabot du gouvernement

Vigie de la République et instrument essentiel pour la lutte en faveur de la probité des élus et des ministres, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique dénonce le rabotage des moyens qui lui sont conférés et épingle au passage neuf ministres pour leur retard sur leurs déclarations d’intérêts et de patrimoine.
Didier Migaud, à l'Assemblée nationale en juin 2023. (Gauthier Bedrignans/Hans Lucas.AFP)
par Zoé Moreau
publié le 29 mai 2024 à 21h23

Didier Migaud peine à cacher son amertume, lui qui s’efforce depuis plusieurs années de promouvoir les activités de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), dont il préside la destinée. Rien ne semble justifier à ses yeux la diminution de budget que connaît cette année l’institution, de l’ordre de plusieurs centaines de milliers d’euros, et qui risque de menacer le bon fonctionnement de cet organe indépendant. Un coup de «rabot indifférencié et sans discernement», a taclé l’ex-premier président de la Cour des comptes.

Chargée de contrôler le patrimoine des élus et leurs éventuels conflits d’intérêts depuis 2013, la HATVP, dans le sillage du scandale de l’affaire Cahuzac, constitue une réelle avancée pour tenter de promouvoir la probité des élus et de lutter contre la défiance des citoyens envers leurs représentants. Cette année, ses précieux travaux ont permis de mettre en évidence certains manquements à la nécessaire transparence de la vie démocratique. Neuf ministres du gouvernement Attal, nommés en deux temps en janvier et février 2024, ont ainsi été en retard dans leur dépôt de déclarations. «Une première regrettable», épingle Didier Migaud, qui présentait, le 29 mai les conclusions du dixième bilan annuel de l’institution à Paris, distribuant au passage un unique point au Premier ministre, le seul à avoir «satisfait à cette recommandation de notre part dans les quelques jours qui ont suivi sa nomination»…

«Des trous dans la raquette»

En 2023, elle a ainsi procédé au contrôle de 3 536 déclarations de responsables publics et passé au crible leurs patrimoines et leurs éventuels intérêts (parts dans des entreprises, anciennes fonctions dans le privé, etc.). Le bilan de ces contrôles n’a rien, a priori, d’alarmant : seuls 1,4 % des responsables publics contrôlés auraient fait l’objet d’un rappel ferme à leurs obligations. Alors que 17 dossiers auraient été transmis à la justice cette année pour non-dépôt de déclarations. Celles-ci auraient également gagné en qualité, par rapport aux années passées : 56,1 % d’entre elles ont d’emblée satisfait aux exigences de la HATVP, contre 33,2 % en 2022.

«Ces résultats témoignent d’un meilleur ancrage de ces obligations, des efforts de conformité et de l’intérêt de nos démarches d’accompagnement et de conseils», s’est félicité Didier Migaud. «Mais il y a des trous dans la raquette», a fulminé le président. Et si la Haute Autorité a eu du mal à effectuer tous ses contrôles, c’est parce qu’elle a passé «beaucoup trop de temps à relancer» les personnes sur leurs obligations déclaratives, en particulier des «membres des cabinets ministériels», des «responsables sportifs» ou «quelques élus locaux». Mais aussi, parce qu’elle manque, comme tant d’autres d’institutions de veille et de contrôle, de moyens humains et financiers.

«Sans discernement»

Chaque année, le budget de la HATVP est ainsi voté par le Parlement dans le cadre de la loi de finances. Mais le gouvernement, qui s’est fait rappeler à l’ordre le mois dernier par le Groupe d’Etats contre la corruption (Greco), un organe du Conseil de l’Europe, pressant Paris de «prendre des mesures énergiques», a donc décidé d’en raboter une partie ; preuve du peu d’allant d’Emmanuel Macron en la matière, régulièrement fustigé par les ONG anticorruption, à l’instar de Transparency. Une diminution qui représenterait une «réduction de 12 %» de ses crédits de fonctionnement, hors loyer, soit environ 260 000 euros sur un budget initial de 3,6 millions d’euros, dont 40 % de location de bureaux. «Si on veut que la HATVP soit en mesure de remplir les fonctions qui sont les siennes, il faut lui donner les moyens d’y arriver», a sermonné Didier Migaud. Ce coup de «rabot indifférencié et sans discernement» dans son budget serait d’autant plus inconcevable que, régulièrement, les missions de la HATVP sont élargies.

Par son travail de veille et de surveillance, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique a déjà fait chuter plusieurs figures politiques. A l’image de Thomas Thévenoud, éphémère secrétaire d’Etat du gouvernement Valls II, poussé à démissionner après un contrôle fiscal ayant révélé des placements illégaux. Ou encore Jean-Paul Delevoye, contraint de quitter la présidence du Conseil économique, social et environnemental, après la révélation d’activités qu’il avait «omis» de mentionner à la Haute Autorité. Très attendues, les déclarations des ministres du gouvernement de Gabriel Attal devraient être rendues publiques le 20 juin au plus tard.