Un cas isolé, ou le début des prises de guerre ? Le député LR Eric Woerth, ex-ministre de Nicolas Sarkozy et président de la commission des finances de l’Assemblée, a annoncé ce mercredi dans un entretien au Parisien qu’il soutiendrait Emmanuel Macron pour l’élection présidentielle. «Je pense qu’il est le mieux à même de défendre l’intérêt de la France et des Français, se justifie le député de l’Oise. Je pense profondément qu’un second mandat d’Emmanuel Macron serait une chance pour la France, comme ça aurait été le cas pour Nicolas Sarkozy.»
Le bruit courait, ces derniers jours, d’un ralliement imminent de cette figure de LR, tenant d’une ligne libérale et modérée. Il intervient à un moment délicat pour la candidate du parti Valérie Pécresse. Celle-ci doit tenir dimanche au Zénith de Paris un grand meeting censé (re)lancer sa campagne, qui traverse un faux plat. «J’ai du respect et de l’amitié pour Valérie Pécresse, assure le président de la commission des Finances de l’Assemblée dans cette interview. Ce n’est pas une question personnelle mais je n’adhère pas au discours de LR, qui décrit une France qui n’est pas tout à fait la mienne, une France nostalgique, recroquevillée sur elle-même.»
«J’ai évolué»
Ministre du Budget puis du Travail sous Nicolas Sarkozy, Woerth a notamment porté en 2010 la réforme des retraites reculant de 60 à 62 ans l’âge légal de départ. Il déplore aujourd’hui «une forme de course-poursuite entre les candidats sur les sujets sécuritaires», et estime que sa «formation politique, dont [il est] membre depuis 1981, a dérivé». Pas gêné de rejoindre une macronie encore peuplée d’anciens socialistes, il juge que le chef de l’Etat «n’est pas plus à gauche que [lui]». Woerth oublie au passage les nombreuses critiques qu’il a formulées contre le pouvoir au fil du quinquennat. «Le président de la République s’assoit totalement sur la priorité qui doit être la diminution des déficits», fustigeait-il par exemple en avril 2019 sur France Inter. Emmanuel Macron «oppose les générations» lorsqu’il «prend du pouvoir d’achat» aux retraités pour le transférer aux actifs, regrettait-il encore en 2018 sur la question des hausses de CSG pour financer la baisse de certaines cotisations sociales.
«J’ai évolué, la présidence d’Emmanuel Macron aussi [...] J’assume l’ensemble de mes propos passés», se défend aujourd’hui le député qui a démissionné de LR et du groupe LR à l’Assemblée. Il ira siéger parmi les apparentés LREM. «Je n’adhère pas à LREM ni à la majorité telle qu’elle est constituée aujourd’hui, dit-il au Parisien. Il faut la faire évoluer».
Pas question en revanche de rendre son poste de président de la commission des finances, et les avantages politiques et matériels associés. «Il n’y est pas juridiquement obligé», assume son entourage. C’est vrai : le règlement de l’Assemblée prévoit que le poste revient à un membre de l’opposition. Mais cette règle, voulue par Nicolas Sarkozy, ne vaut qu’à la prise de fonction, pas forcément par la suite, en cas de changement de bord. C’est peu dire que la situation horripile LR, où l’on en fait une question de principe. «Je lui demande, en cohérence, de quitter la présidence de la commission des finances, a réclamé sur Twitter Damien Abad. C’est une question de dignité et de respect vis à vis de nos institutions et de ses ex-collègues.»
La démarche solitaire d'Éric Woerth l'a conduit à démissionner du Groupe LR. Je lui demande, en cohérence, de quitter la présidence de la Commission des finances. C'est une question de dignité et de respect vis à vis de nos institutions et de ses ex-collègues LR.
— Damien Abad (@damienabad) February 9, 2022
Analyse
Chez LR, on compte mener la vie très dure au transfuge : «Il faut faire pression sur lui en disant que c’est un profiteur, qu’il s’est vendu pour un poste, pour le déconsidérer», s’emportait mercredi une source parlementaire. On s’efforce de ringardiser ce protagoniste d’une époque déjà lointaine, moins visible du grand public ces dernières années. On ne se prive pas enfin de rappeler les déboires judiciaires passés ou présents de l’ancien ministre, accusé de chercher la protection du pouvoir. En juillet 2021, Woerth a été mis en examen par la Cour de justice de la République dans le cadre de l’affaire Tapie-Crédit Lyonnais. Il est également mis en examen depuis 2018 dans le cadre de l’affaire du financement libyen présumé de la première campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy.
N’empêche : l’épisode n’a pas de quoi rassurer une droite qui cherche encore le moyen de faire décoller sa campagne, et à qui la macronie promet un prompt effondrement. Combien imiteront Woerth ? Le président de la région Provence Alpes-Côtes d’Azur (Paca), Renaud Muselier, est un sérieux client. Démissionnaire de LR, l’homme multiplie les clins d’oeil au chef de l’Etat. Mercredi, sur Twitter, il a annoncé avoir écrit aux maires de sa région que «chacun est libre de parrainer le candidat de son choix à l’élection présidentielle». Le même jour, Lionel Royer-Perreaut, maire des 9e et 10e arrondissements de Marseille, avait fait savoir, en une de La Provence, qu’il quittait LR et rejoignait Macron. Reste surtout pendant le choix de Nicolas Sarkozy, dont Woerth «note» avec intérêt qu’il «n’a pas encore pris position»...
J'ai écrit aujourd'hui à tous les maires de @MaRegionSud pour leur dire une chose simple : chacun est libre de parrainer le candidat de son choix à l'élection présidentielle ! Cela n'aura aucune incidence sur nos liens, quelque soit ce choix.
— Renaud Muselier (@RenaudMuselier) February 9, 2022
Liberté et démocratie avant tout.
Mise à jour : à 17 h 17, avec le message de Renaud Muselier puis à 17h43 avec les déclarations de Damien Abad et les réactions à LR.