Menu
Libération
En campagne

Sept candidats à la présidentielle en opération séduction face aux jeunes

Election Présidentielle 2022dossier
Roussel, Zemmour, Jadot, Pécresse, Hidalgo… Sept prétendants à l’Elysée ont rencontré ce mardi 100 jeunes à la Maison de la Radio à Paris. Passage en revue des déclarations de chacun, dont certaines ont fait l’unanimité contre elles.
Sept prétendants à l’Elysée ont rencontré un panel de jeunes (15-25 ans) ce mardi à la Maison de la Radio. (Albert Facelly/Libération)
par Marceau Taburet et Photos Albert Facelly
publié le 22 février 2022 à 12h22
(mis à jour le 22 février 2022 à 19h15)

Un chiffre est donné en introduction. 29 % des 18-24 ans se sont abstenus au premier tour de l’élection présidentielle de 2017. Pour infléchir cette tendance le 10 avril et inciter les jeunes à se rendre aux urnes, une journée de rencontres était organisée à la Maison de la Radio ce mardi par France Inter et Chemins d’avenir. Elle réunissait sept candidats à l’élection reine et une centaine de jeunes de 15 à 25 ans.

«Interpellez les candidats et allez voter, sinon ce sera une démocratie des seniors», lance Brice Teinturier, directeur général délégué de l’institut de sondages Ipsos. Pendant quarante-cinq minutes, Fabien Roussel (PCF) a été le premier à se frotter à l’exercice. Eric Zemmour, Yannick Jadot (EE-LV), Christiane Taubira, Anne Hidalgo (PS), Valérie Pécresse (LR) et Marine Le Pen (RN) le suivent. Jean-Luc Mélenchon (LFI) avait accepté l’invitation avant de la décliner, faute de temps.

Fabien Roussel : «L’espoir nourrit l’espoir»

«Il n’y a pas eu de question sur l’entrecôte ou le vin rouge. Ça change des journalistes», lâche le journaliste Thomas Snégaroff à la fin de l’échange. Ici, c’est vrai, les journalistes ne posent aucune question. Les jeunes ont la parole. Et ils ne parleront pas de viande, mais d’écologie, d’école, de revenu étudiant et des valeurs de la République. Le candidat du Parti communiste français (PCF) prend la parole et déclare vouloir faire de la jeunesse une «grande cause nationale». Une expression usée jusqu’à la corde, mais qui continue de faire son petit effet.

Fabien Roussel se dit opposé au droit de vote à 16 ans – «il faut commencer par convaincre ceux qui ont plus de 18 ans et qui ne votent pas», insiste-t-il – mais favorable à la gratuité des transports pour les moins de 25 ans. Le communiste propose également un revenu étudiant «à partir de 850 euros afin de garantir à chacun de pouvoir faire des études sans être obligé de travailler». Sur l’écologie, celui qui plaide pour «une France décarbonée à l’horizon 2050» assure que «la déprime nourrit la déprime» et que «l’espoir nourrit l’espoir». «Nous sommes dans la décennie où tout est possible : faisons vivre l’espoir plutôt que de dire “on va tous mourir”», déclare-t-il, plutôt à l’aise sur scène.

Interrogé par Diego, un jeune sourd, sur les moyens à mettre en place pour mieux accompagner les personnes porteuses de handicap à l’école et à l’université, Fabien Roussel jure que «tout ça, c’est une question de pognon». «Ceux qui veulent réduire la dépense publique sont des voyous», finit-il même par asséner au micro.

Enfin, et c’est assez inhabituel de le voir sur ce terrain-là, l’ancien journaliste qui répond à une question sur la meilleure façon de «faire vivre les valeurs de la République pour toutes et tous», estime qu’à «chaque fois, on stigmatise la même religion. Les musulmans. C’est bizarre, ça», conclut-il sans en dire davantage. Pas un mot, en revanche, sur les soupçons de travail fictif mis en avant par Mediapart la veille.

Eric Zemmour : «A 16 ans, on est sujet à l’endoctrinement»

Place au candidat d’extrême droite qui ne perd pas de temps. Il affirme d’emblée être opposé au droit de vote à 16 ans. A cet âge-là, explique-t-il, «on n’a pas la maturité suffisante pour voter». L’esprit est «malléable» et «sujet à l’endoctrinement et à la propagande». Une bonne façon de se mettre la salle dans la poche… Eric Zemmour embraye aussitôt : s’il est lancé dans la course à la présidentielle, c’est «pour sauver votre génération», dit-il en direction du public. Puis, fidèle à son discours : «Il faut arrêter l’immigration pour que notre pays, votre pays ne devienne le Liban en grand et ne soit menacé d’islamisation.»

A une jeune femme qui lui demande ce qu’il compte faire pour la politique de la ville, le polémiste répond abruptement que sa priorité à lui, c’est «la France rurale qui se dépeuple». «Nous avons donné beaucoup trop d’argent aux quartiers et à la politique de la ville», insiste-t-il. Sa vision décliniste de la société s’étend à l’école. «Nous avons déconstruit l’histoire de France, nous n’avons plus forgé de Français. Nous devons refaire des Français», juge Zemmour, qui n’en est pas à une approximation près. Car il ajoute que «les cours d’instruction civique ne sont plus que des cours de propagande». «J’ai des enfants, je sais de quoi je parle», finit-il par se justifier. Dans la salle, les jeunes réagissent vivement, entre rires, applaudissements après une question volontairement provocante et cris de surprise. Quant à la question de savoir s’il faut «revaloriser les métiers féminins», Zemmour répond simplement que ça engagerait «une discussion sans fin».

Yannick Jadot : «Combattre le chaos»

Quelle erreur ! De petites bouteilles d’eau en plastique étaient disposées sur les tables. Il n’en fallait pas tant pour déclencher la colère du candidat écologiste, qui rappelle les chiffres de la pollution de plastique en France. «Un point pour Yannick Jadot», concède le journaliste Thomas Snégaroff. Le candidat EE-LV entre rapidement dans le jeu, il est à l’aise et se permet quelques blagues au public. Il se lance dans une ode à la jeunesse, qui «s’engage contre le racisme, la souffrance animale et les violences faites aux femmes», et à qui il promet un revenu étudiant. «Plus un jeune, et plus un Français, ne doit vivre sous le seuil de pauvreté fixé aujourd’hui à 920 euros», avance Jadot qui enjoint, pour cela, les jeunes à «s’emparer de cette élection».

Sa première mesure s’il était élu en avril ? «Sortir de l’élevage industriel.» Il parle de «ces animaux qui ne voient pas l’extérieur», de la «grande souffrance animale», et de la nécessité de «repenser la ruralité et notre alimentation». «Bien manger est un plaisir», finit-il par lâcher, comme pour montrer que son concurrent communiste n’a pas le monopole d’une certaine vision de la bonne bouffe.

Yannick Jadot renvoie plusieurs fois Eric Zemmour dans les cordes, sans jamais le nommer. Face à des candidats qui «manipulent les angoisses, les peurs et les paniques identitaires», l’écologiste préfère «combattre le chaos, se retrousser les manches pour mettre de la solidarité et de la justice sociale partout et se projeter vers l’avenir». Aux «pulsions de haine», il dit préférer les «pulsions de solidarité». Puis vient la question de la lutte contre les féminicides et la protection des femmes en danger. «Depuis quarante-cinq minutes que nous parlons, il y a eu à peu près neuf viols dans ce pays», assène Jadot, avant de dérouler ses nombreuses propositions en la matière, et notamment «le milliard d’euros» qu’il promet de mettre sur la table.

Christiane Taubira : «Ma cause, c’est la vôtre»

Accueillie sous des applaudissements nourris, l’ancienne Garde des Sceaux jouait gros. Son passage devant la Fondation Abbé-Pierre le 2 février avait été critiqué pour son manque de précision. Face aux jeunes, Christiane Taubira s’est montrée beaucoup plus à l’aise, capable de passer d’un sujet à un autre sans encombre. L’autrice de Murmures à la jeunesse (2016) s’est lancée dans un long plaidoyer pour que la nouvelle génération «transforme le monde». «Le monde actuel n’est pas tolérable. Il est trop injuste, trop violent», a déclaré la gagnante de la Primaire populaire.

Christiane Taubira a également évoqué le sort des Ouïghours. «La France doit prendre des positions claires et formelles», a-t-elle défendu. Avant d’expliquer que «chaque Ouïghour qui est stérilisé de force, qui est contraint de travailler va peser sur nos consciences». Concrètement, si elle était élue Présidente, elle ne «s’interdirait rien». Si au détour d’une question elle a qualifié le français de «langue sensuelle» – ce qui n’a pas manqué d’être repris ensuite –, elle veut que la jeunesse puisse «découvrir» le monde au sortir de la pandémie. «Pourquoi pas pendant trois ou six mois.»

Enfin, Christiane Taubira assure qu’il «est temps que nous ayons à nouveau une Première ministre». Sans donner de nom sur les femmes qui pourraient travailler avec elle à la tête de l’Etat. Taubira propose de «mettre un vrai milliard» d’euros pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Une mesure qui permettrait «d’introduire à l’école des cours de sensibilisation à la violence et au respect». «On ne peut pas continuer à vivre comme des sauvages où on tue des femmes», termine-t-elle. Si elle n’avait qu’une cause à choisir, face à la jeunesse, elle déclare : «Ma cause, c’est la vôtre».

Anne Hidalgo : «Je pense que je suis très, très solide»

Dans son intervention, la maire de Paris a largement insisté sur la place des femmes. Et singulièrement en politique. «C’est une force d’être une femme en politique. Je pense que je suis très, très solide», a-t-elle déclaré en souriant. Clin d’œil évident à ceux qui remettent en cause le bien-fondé de sa candidature, noyée autour des 2 % d’intentions de vote. Anne Hidalgo a aussi précisé que «le monde politique est l’univers dans lequel le sexisme, la misogynie et la moquerie à l’égard des femmes est le plus répandu». Elle a lancé un appel aux jeunes femmes présentes dans le public. «Libérez-vous de tout ce qui essaye de prendre le pouvoir dans vos têtes. Votez pour une femme, ça changera. Et de gauche, c’est encore mieux. Parce que l’extrême droite, on évite», a ajouté Hidalgo.

La candidate socialiste à l’élection présidentielle fait deux propositions fortes. D’une part, la mise en place d’un «capital de 5 000 euros pour chaque jeune de 18 ans». D’autre part, la création «d’un tribunal pénal international qui permettrait de juger des crimes d’écocide». Une proposition qui peut trouver un écho au sein d’une jeunesse particulièrement sensible aux enjeux climatiques. Anne Hidalgo, qui estime être «du bon côté de l’histoire» en matière de lutte contre le dérèglement du climat, justifie : «Il faut une justice internationale et des textes qui permettent d’aller chercher les pollueurs et de les faire payer.»

Avant de s’éclipser, Hidalgo réserve sa dernière charge à ces candidats dont elle ne «veut pas prononcer le nom» qui «voudraient nous entraîner dans des conflits». Elle conclut : «Il faut dire et redire que nos compatriotes de confession musulmane veulent pour l’immense majorité vivre tranquille. Qu’on leur foute la paix.»

Valérie Pécresse : «Oublions le passé, regardons devant»

Le sujet est sensible et Valérie Pécresse le sait. Quand une jeune femme lui demande s’il faut que la France s’engage dans «la réparation de l’esclavage et de la colonisation des pays africains» sous forme, pourquoi pas, «de bourses d’études à la jeunesse africaine», la candidate LR répond : «Oublions le passé, regardons devant.» Une formule qui suscite quelques «oh» dans le public. Puis Pécresse de préciser : «Il faut évidemment connaître son histoire. Mais je n’aime pas la façon dont vous présentez les choses.» A un autre moment de l’échange, la présidente de la région Ile-de-France crée un mini-malaise : elle a parlé de «faux demandeurs d’asile». L’expression a étonné le journaliste Thomas Snégaroff, présent sur scène, qui lui a demandé de préciser son propos.

Pour «redonner du pouvoir» à la nouvelle génération, il est ensuite demandé à la candidate de se prononcer sur la mise en place d’une éventuelle «Assemblée nationale des jeunes». Valérie Pécresse n’y avait pas pensé mais elle juge l’idée «intéressante». «Je la retiens, je vais la faire prospérer», dit-elle. Sur l’écologie, les mots sont forts. «On a une dette écologique vis-à-vis de la jeunesse. On vous a emprunté la planète et on va vous la rendre», assure Pécresse. Sur les propositions, en revanche, le jeune homme qui l’interroge regrette qu’elle n’ait pas de «plan». La candidate rappelle son objectif «zéro carbone d’ici à 2050», qu’elle «décline» en plusieurs points. Quand le gong sonne, Valérie Pécresse crie, le sourire jusqu’aux oreilles, «merci les jeunes !» au micro. Et puis s’en va.

Marine Le Pen : «La discrimination, je l’ai vécue»

La candidate du Rassemblement national (RN) a été la plus huée de la journée. Et notamment quand elle déclare que l’islamisme est «aussi dangereux que le nazisme» ou quand elle annonce qu’elle veut interdire le port du voile «partout», «dans la rue, dans le sport, à l’université»... Marine Le Pen a fait du Marine Le Pen. Elle a déroulé son argumentaire habituel. «Nous n’avons plus les moyens d’accueillir de migrants» ou «il faut la priorité nationale» ont été parmi ses phrases fortes.

S’agissant de la lutte contre les discriminations à l’embauche, c’est à peine si elle reconnait leur existence. Elle lâche : «C’est très compliqué pour tout le monde de se faire embaucher, en réalité.» Refusant, de fait, de répondre à la question. Puis : «J’ai regardé les études. Ils ont mis en place les CV anonymes, ça n’a pas été un grand succès.» Quand elle daigne reconnaître «ne pas supporter la discrimination», c’est pour mieux se victimiser. «La discrimination, je l’ai vécue. Je me suis appelée Le Pen toute ma vie. C’était extrêmement difficile quand j’avais 12 ou 15 ans. On m’a fait payer le prix de m’appeler Le Pen.»

Quant à la protection de l’environnement, rien de neuf. Une jeune militante du climat rappelle au micro que l’Etat français a été condamné deux fois pour son inaction climatique. «Je ne rentrerai pas dans cette flagellation permanente de notre pays, évacue la candidate. La France est l’un des meilleurs élèves sur l’environnement.» Fermez le ban.