C’est un dîner que l’aile gauche de la majorité digère mal. Lundi 23 octobre, Elisabeth Borne rencontrait le président des sénateurs Les Républicains, Bruno Retailleau. Une étape dans les consultations que mène la Première ministre avec les patrons de groupes des deux chambres pour trouver des majorités sur ses projets de loi. Plusieurs députés Renaissance se sont étranglés mardi 24 octobre en découvrant un article du Parisien selon lequel Borne aurait affirmé à Retailleau qu’elle n’était pas fermée à l’idée de retirer l’article 3 du projet de loi immigration, examiné au Sénat à compter du 6 novembre.
Cette disposition sur la régularisation des travailleurs sans papiers dans les métiers en tension, gage d’un texte «équilibré» pour l’aile gauche de la majorité, est une ligne rouge pour LR. Offrir son retrait à la droite serait un moyen de monnayer son soutien. Matignon a beau préciser que Borne «n’a pas tranché» la question au cours de son dîner avec Retailleau, ce dernier pouvant avoir intérêt à semer la pagaille dans la majorité, ça rouspète dans les rangs de Renaissance. «Tenir ces propos à Retailleau avant même d’en parler à la majorité en dit long sur l’ordre de ses priorités», soupire une députée.
Les lignes rouges de chacun
La grande partie de poker menteur continue donc autour du fameux article 3. Sommé de trouver une majorité par Emmanuel Macron, Gérald Darmanin souhaite faire voter son texte immigration sans recourir à l’article 49.3. Donc avec la bienveillance de la droite. Dans une interview au Journal du dimanche, le ministre de l’Intérieur s’est dit prêt à «discuter», estimant implicitement que les dispositions sur les travailleurs sans papiers n’étaient «pas centrales». Une grosse divergence avec l’aile gauche de la majorité, qui a justement fait de cet article un point très «central», au point de menacer de ne pas voter le projet de loi s’il n’y figure plus. Les députés Renaissance Stella Dupont et Sacha Houlié ont posé en une de Libération en septembre, au côté de collègues de gauche, pour défendre cette mesure. Elisabeth Borne, elle, doit naviguer tant bien que mal au milieu des lignes rouges de chacun. «Une partie de notre majorité tient à cet article, or la Première ministre est attachée à l’unité de la majorité, précise-t-on dans son entourage. En revanche, elle pense que cette mesure peut être améliorée et qu’elle ne peut être un droit opposable.»
«Aucune inquiétude»
En clair, la cheffe du gouvernement veut que le texte corrige certaines injustices qu’elle déplorait quand elle était ministre du Travail, en particulier la situation des travailleurs sans papiers dont les employeurs refusent de demander la régularisation, sans créer un droit automatique. Président de la commission des lois de l’Assemblée, Sacha Houlié assume sur ce point une divergence avec Borne. «C’est sa position historique, et c’est pourquoi nous discutons de l’écriture, mais au Parlement nous considérons que ce doit être le cas.» Houlié répète qu’il n’a «aucune inquiétude» sur le sort de l’article 3 à l’Assemblée : «Je connais la position de la majorité.» Si l’article saute au Sénat ? «On le rétablira», promet le député Modem Bruno Millienne.
Sans craindre le grand écart, après sa grosse œillade à la droite dans le JDD, Darmanin s’est pointé devant les députés de la majorité mardi matin pour leur assurer qu’il était bien «favorable» à l’article 3. «On avait besoin d’éclaircissements. Et ce n’est pas le moins habile des ministres… il sait faire», se marre Millienne. En attendant le prochain épisode des folles aventures de l’article 3.