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Projet de loi immigration : Florent Boudié, le démineur de la macronie

Habitué à désamorcer les sujets sensibles au sein de la majorité, le député Renaissance de Gironde est rapporteur général du projet de loi sur l’immigration, dont l’examen commence lundi en commission à l’Assemblée nationale.
Florent Boudié à l'Assemblée le 10 octobre. (Nicolas Messyasz/Hans Lucas)
publié le 27 novembre 2023 à 5h45

C’est encore tombé sur lui. Le député Renaissance Florent Boudié est rapporteur général du projet de loi sur l’immigration, dont l’examen commence ce lundi 27 novembre, et jusqu’à dimanche s’il le faut, en commission des lois à l’Assemblée nationale. Avec les autres rapporteurs, il doit prendre place aux côtés du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, décidé à arracher un deal en décrochant une partie de LR, et du président de la commission, Sacha Houlié (Renaissance), qui compte surtout détricoter la version nettement durcie par la droite sénatoriale. Au milieu, Boudié donc, qui n’en est pas à sa première mission de conciliateur. Il y a cinq ans, l’élu de Gironde, «chef de file» des marcheurs sur la loi «asile et immigration» portée à Beauvau par Gérard Collomb (décédé samedi), avait déjà été chargé de mettre au diapason un groupe cacophonique. Quand on ne l’appelle pas pour tenter de rapprocher les contraires, il s’y colle de lui-même. En 2018, il a lancé un groupe de travail sur la loi de 1905. Immigration, laïcité : deux sujets sur lesquels son camp reste traversé par de profonds clivages. Cette fois, il espérait y échapper en étant rapporteur de la récente loi de programmation du ministère de l’Intérieur. Ici, on ne joue pas à chat perché. Boudié au rapport, prié de déminer encore.

Que va-t-il faire dans cette galère, lui qui dit «ne pas rechercher le coup d’éclat» ni supporter «la caricature, la mauvaise foi, le binarisme» ? Parions justement que c’est son sens de la mesure qui l’a mené dans ce psychodrame que majorité et LR feuilletonnent depuis un an. Chez ce Girondin tout juste quinquagénaire, qui a grandi en climat tempéré, c’est de nature. «Acte de rébellion ultime, j’étais deloriste à 17 ans», c’est dire… Le 11 décembre 1994, Jacques Delors, dans l’émission 7 sur 7, renonce à la présidentielle. L’étudiant à l’IEP de Bordeaux, à l’esprit violemment «contestataire», est inconsolable. Puis, il travaille avec Alain Rousset, à la région Aquitaine, et adhère au PS, tout en se méfiant de ses courants.

Virer pas mal de barbarismes

Revenons à l’immigration. La copie du Sénat doit en principe épouvanter l’homme modéré. Boudié prend soin de ne pas le dire très fort : «Sur un texte sensible, même en étant en désaccord avec le Sénat, notre job ne consiste pas à faire table rase.» Devant son groupe, il prévient que l’idée n’est pas de rétablir le texte du gouvernement à l’identique. Le rapporteur entend toutefois virer pas mal de barbarismes votés par la Chambre haute : la suppression de l’aide médicale d’Etat, les mesures relatives aux mineurs isolés, le conditionnement des prestations sociales à cinq ans de résidence ou le refus de l’hébergement d’urgence aux sans-papiers. Alors que les macronistes risquaient de s’écharper sur les régularisations dans les secteurs «en tension» (mesure ratiboisée au Sénat), Boudié a proposé une option qui pourrait convenir à son camp. Il n’est question ni de laisser le «pouvoir discrétionnaire au préfet» ni de créer «un droit opposable». Le travailleur sans-papiers demanderait son titre de séjour, que le préfet ne refuserait qu’en cas de «menace à l’ordre public» ou d’«agissements contraires aux valeurs de la République».

La tribune de dix-sept députés LR, prêts à voter le texte s’il reste fidèle à la version du Sénat, est aussi pour lui un premier pas : très loin du compromis, l’initiative, parue dans la Tribune dimanche, révèle les fractures de la droite, que ce fin analyste de la tectonique politique scrute de près. Le rapporteur a vu Annie Genevard jeudi : «Courtois, posé, il a fixé les limites de son cadre. J’ai fait de même. Les forces en présence sont posées !» raconte-t-elle, décrivant Boudié en «socialiste mâtiné de macronisme». Ce qui n’est pas un compliment pour la députée LR en charge du texte. A l’inverse, le chef des députés PS, Boris Vallaud, appelle «l’aile gauche» de la majorité – venue du PS – «à se réveiller». Et encore, aile gauche… «Un petit aileron sans plume !»

«Agent de Gérald»

Boudié ne s’en réclame pas, refusant les chapelles : «Les cercles de sensibilités tendent à accentuer les divergences.» Lui veut les atténuer, arrondir les angles, faire baisser le volume. Tempérer au point de fuir les conflits ? Ses collègues Renaissance voient en lui l’homme «rond», «consensuel», de la situation. «C’est un bon négociateur, il traite les sujets calmement, sans émotion. Mais il n’aime pas prendre les coups», dit l’un d’eux. Un autre, qui le juge «un peu mollasson», le tacle en «agent de Gérald» et imagine déjà, si Darmanin décrochait Matignon, Boudié ministre des Relations avec le Parlement – poste qui lui a échappé l’été dernier. «Je m’entends très bien avec Gérald Darmanin, même quand on n’est pas d’accord. Ce n’est pas facile de me manipuler car je ne joue pas l’étape d’après», rétorque Boudié. Quand Beauvau lui a demandé de prendre des amendements à son compte, il assure avoir refusé. «Il peut tenir tête tranquillement au gouvernement», confirme un de ses camarades. Le même s’amuse d’avoir entendu, mardi en commission face à Darmanin, la langue du rapporteur fourcher pour lui donner, avant de se reprendre, du «monsieur le Premier ministre». Il est pourtant rare que les mots de Boudié dépassent ses pensées.