Le sort du projet de loi immigration paraît de plus en plus incertain. Réunis depuis lundi 17 heures, les sept députés et sénateurs qui doivent trancher en commission mixte paritaire (CMP) ont suspendu leurs discussions tard dans la nuit. Elles doivent reprendre ce mardi 19 décembre à 10 h 30. Il faut dire que les négociations sont acharnées entre la droite et le gouvernement depuis l’adoption d’une motion de rejet à l’Assemblée nationale il y a une semaine. Gérald Darmanin, qui porte le texte depuis des mois, affichait pourtant sa confiance lundi matin : «à ce stade on ne peut pas parler d’accord mais on peut dire que ça avance positivement. Nous sommes plus près d’un accord que d’un désaccord», avançait le ministre de l’Intérieur.
Au fil des heures, si des compromis se sont dessinés entre les exigences du parti Les Républicains et les reculades de la majorité macroniste, sous l’œil appréciateur de l’extrême droite, des achoppements persistent. Libération fait le point.
L’aide médicale d’Etat réformée à part
Sur l’aide médicale d’Etat (AME), la droite a donc obtenu gain de cause. A quelques minutes du début de la commission mixte paritaire (CMP) la Première ministre Elisabeth Borne a adressé un courrier aux Républicains pour leur confirmer qu’une réforme du dispositif sera étudiée à part en janvier. «Je souhaite vous informer que j’ai demandé aux ministres concernés de préparer les évolutions réglementaires ou législatives qui permettront d’engager une réforme de l’AME. Comme vous l’avez souhaité, les parlementaires seront pleinement associés à ces travaux. Les évolutions nécessaires devront être engagées en début d’année 2024», écrit la locataire de Matignon.
Durant l’examen du projet de loi immigration au Sénat, les parlementaires de la Chambre Haute avaient supprimé l’AME pour la transformer en une Aide médicale d’urgence (AMU). Mais l’AME avait été rétablie par les députés en commission des lois fin novembre.
Plusieurs ministres, à l’unisson du monde médical, ont manifesté une très forte opposition à cette réforme exigée par la droite dure. Le ministre de l’Intérieur avait estimé qu’il s’agissait d’un cavalier législatif, c’est-à-dire d’une mesure sans rapport direct avec le texte et pouvant à ce titre être censurée par le Conseil constitutionnel.
Interview
La droite et le gouvernement semblent s’être accordés sur le fait de sortir ce sujet du texte, à condition que le gouvernement présente rapidement un projet de loi distinct sur la question. Le chef de file des sénateurs LR, Bruno Retailleau, a exigé ce lundi matin de la Première ministre Elisabeth Borne qu’elle envoie «avant 17 heures [et le début de la CMP] une lettre» au président du Sénat Gérard Larcher, détaillant la future réforme de l’AME. «Il n’y aura pas d’accord s’il n’y a pas cette lettre, ça fait partie des points bloquants», a-t-il prévenu, se disant soucieux de «réduire l’attractivité de notre modèle social».
Message reçu, tout du moins du côté du ministère de l’Intérieur. «Je crois que c’est l’accord dans lequel on est, un texte immigration sans l’AME» mais «qui sera discutée à partir du mois de janvier», a affirmé Gérald Darmanin sur BFMTV dimanche soir. Avant de répéter ce lundi matin : «Nous ne souhaitons pas avoir l’AME dans ce texte».
Régulariser les sans-papiers, la droite s’arc-boute
Une disposition phare du texte, et l’une des plus critiquée par la droite, prévoit la régularisation de certains travailleurs sans-papiers dans les métiers en tension. La version sortie du Sénat laisse aux préfets leur pouvoir «discrétionnaire» sur le sujet.
«Nous sommes attachés à cet article, il n’y a aucune raison qu’on le modifie», a déclaré le président du groupe Union centriste au Sénat Hervé Marseille. Le gouvernement aurait accepté de lâcher du lest, même si le diable se cachera dans le détail. «On essaye de négocier que ce soit automatique en cas de non-réponse du préfet : il ne faut pas emboliser les préfectures», a glissé une source parlementaire Renaissance.
Tribune
Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a laissé entendre dimanche que le blanc-seing de l’employeur pourrait ne plus être nécessaire pour que les sans-papiers fassent leur demande. Le préfet «pourra régulariser notamment des personnes qui veulent être régularisées mais dont l’employeur se refuse à accorder la régularisation», a-t-il dit.
De son côté, le président de LR, Eric Ciotti, a dit attendre du gouvernement une «rédaction nouvelle» de l’article qui garantisse le fait qu’elle n’ouvre «aucun droit juridique pour les personnes qui en feraient la demande». Darmanin a synthétisé ce lundi matin : «Les Républicains ont accepté que cet article puisse exister». Mais dans quelle formulation ?
Déchéance de nationalité, mesure constitutionnelle ?
Le gouvernement aurait donné son accord pour inscrire une mesure de déchéance de nationalité pour les binationaux auteurs de crimes contre les forces de l’ordre. «Ça ne me gêne pas», a affirmé le président du MoDem François Bayrou, allié d’Emmanuel Macron. L’exécutif serait par ailleurs ouvert à une mesure exigeant des jeunes nés en France de parents étrangers qu’ils manifestent leur volonté d’acquérir la nationalité française pour l’obtenir.
Et Eric Ciotti a affirmé avoir obtenu des gages concernant «l’exonération de l’application du droit du sol pour les mineurs qui ont commis un crime».
Analyse
Le gouvernement aurait par ailleurs accepté de supprimer l’article 4 sur le droit au travail de certains demandeurs d’asile, et donné son accord au rétablissement du délit de séjour irrégulier, toujours selon le député des Alpes-Maritimes.
Pas de mineurs en centre de rétention, mesure de gauche
Selon des sources concordantes, la droite aurait donné son accord à l’interdiction de l’enfermement des mineurs dans les centres de rétention administrative (CRA).
Elle aurait également accepté de maintenir le droit à un hébergement d’urgence pour les personnes faisant l’objet d’une Obligation de quitter le territoire français (OQTF).
Les prestations sociales pour les nouveaux arrivés, gros débat
Une mesure continue d’alimenter de vifs débats : la question des prestations sociales versées aux étrangers en situation régulière. Le texte du Sénat prévoit de leur imposer cinq ans de résidence pour pouvoir bénéficier d’allocations comme l’aide personnalisée au logement (APL) ou les allocations familiales.
«On n’est pas favorable à cet article, après il faut faire un pas», a affirmé Gérald Darmanin à ce sujet, évoquant des discussions sur la durée de résidence requise, l’exclusion éventuelle des handicapés, un régime différent pour «ceux qui travaillent» et «ceux qui ne travaillent pas».
«C’est un principe qui a été acté : cinq ans pour ceux qui ne travaillent pas», a rétorqué Ciotti. Banco : «On a proposé un décalage plus long pour ceux qui ne travaillent pas», a-t-il affirmé, avec une durée de «30 mois pour ceux qui travaillent, cinq ans pour ceux qui ne travaillent pas», a admis Gérald Darmanin ce lundi matin.
Autre mesure, contestée par le MoDem : la mise en place d’une «caution» pour les étudiants étrangers. «On discute d’une rédaction», selon Eric Ciotti.
Mise à jour à 19h30 : avec la suspension de la CMP.