Le projet de loi de finances a beau être un texte technique, il n’en est pas moins très politique. Chaque année, à l’automne, c’est lui qui détermine les grandes orientations économiques du pays. Et la position des parlementaires sur ce texte définit leur relation au gouvernement. S’ils soutiennent le budget, ils sont dans la majorité, et s’ils le contestent (par une abstention, ou un vote contre), les voilà dans l’opposition. Sauf qu’en 2024, les choses se sont avérées un peu plus compliquées que d’habitude. On vous récapitule le Fabuleux Destin du budget 2025.
Episode 1 : faire tapis
Le 9 juin, soir du résultat des élections européennes de 2024, le camp macroniste fait face à une sérieuse déroute dans les urnes. Détenteur d’une majorité relative instable depuis sa réélection en 2022, qui le fait dépendre du bon vouloir de la droite, Emmanuel Macron tente alors un coup de poker : il dissout l’Assemblée nationale dans l’espoir d’obtenir un socle plus large.
Episode 2 : ça n’a pas marché
Au soir du deuxième tour des législatives anticipées, le 7 juillet, la base présidentielle s’est encore plus rétrécie, passant de 245 députés à seulement 164. Les Républicains ont aussi perdu des plumes, avec 47 élus au lieu de 62. A l’inverse, les oppositions de gauche et surtout le Rassemblement national gagnent de nombreux sièges supplémentaires. Résultat : même en s’alliant, la droite et la macronie n’ont plus de majorité pour faire voter un budget sans recourir à l’article 49.3 de la Constitution, qui permet de le faire adopter sans scrutin dans l’hémicycle. Car dans ce cas-là, l’exécutif engage sa responsabilité et peut se voir renversé par l’adoption d’une motion de censure.
Episode 3 : échec et mat
C’est précisément ce qui arrive au gouvernement de Michel Barnier le 4 décembre. En essayant de faire adopter le projet de loi de financement de la sécurité sociale par 49.3, l’exécutif est censuré par une motion déposée par le Nouveau Front populaire, également votée par le RN, dont le Premier ministre espérait pourtant obtenir la clémence via une abstention.
Episode 4 : deuxième essai
Le nouveau Premier ministre François Bayrou, nommé le 13 décembre, expérimente une autre méthode : rechercher un accord avec les socialistes, désormais 66 dans l’hémicycle, pour s’assurer de leur non-censure, et faire adopter le projet de loi de finances pour 2025. Sauf que le centriste a repris les choses là où Michel Barnier les avait laissées. C’est-à-dire avec la même copie budgétaire, et un examen entamé par le Sénat, où la droite est majoritaire. La version du texte adoptée par les sénateurs le 26 janvier ne convient donc pas aux socialistes. Un accord devra être trouvé en commission mixte paritaire, à partir de ce jeudi 30 janvier.
Episode 5 : qu’est-ce qu’une commission mixte paritaire ?
Cette expression un peu barbare désigne l’étape finale ce que l’on appelle «la navette parlementaire». C’est-à-dire les allers-retours d’un texte de loi entre l’Assemblée et le Sénat. Si celui-ci est voté dans des termes identiques par les deux chambres, avec les mêmes amendements, il peut être soumis au scrutin des assemblées. En cas de désaccord, on convoque la fameuse «CMP». Sept députés et sept sénateurs, censés représenter les équilibres politiques, et le même nombre de suppléants, s’enferment dans une pièce pour une durée indéterminée, pour pondre et valider une ultime mouture de la loi, soumise ensuite à l’adoption du Parlement.
Episode 6 : les limites de l’exercice
A noter que c’est l’Assemblée nationale qui a toujours le dernier mot, en cas de divergence avec le Sénat. Il est aussi important de se rappeler qu’un consensus trouvé en CMP ne garantit pas que le texte soit validé par les députés. Exemple aussi récent qu’éclairant : un accord avait été trouvé en CMP en décembre sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Logique : les LR dominant le Sénat, et les macronistes étant bien représentés à l’Assemblée, leur alliance domine toutes les CMP. Mais il n’y avait pas pour autant de majorité à l’Assemblée pour voter, ensuite, ce texte. Michel Barnier a donc recouru au 49.3 pour le faire adopter sans vote dans l’hémicycle. En réponse, la gauche a dégainé une motion de censure, à laquelle le RN a apporté ses voix, créant une majorité pour renverser le Premier ministre.
Episode 7 : comment la CMP sur le budget est-elle composée ?
La droite et la macronie sont toujours majoritaires, avec 8 sièges sur 14. Parmi leurs représentants, quatre parlementaires LR, le député Philippe Juvin, le rapporteur général de la commission des finances publiques du Sénat Jean-François Husson, la sénatrice LR Christine Lavarde, et le sénateur apparenté LR Stéphane Sautarel. Le camp présidentiel envoie également quatre émissaires, le député Renaissance David Amiel, plutôt classé dans l’aile gauche, au même titre que le président du groupe Modem au Palais-Bourbon, Jean-Paul Matteï, et deux sénateurs, Vincent Capo-Canellas pour l’Union centriste, et Didier Rambaud pour Renaissance.
La gauche dispose aussi de quatre délégués, dont trois socialistes et un insoumis. Ce dernier est Eric Coquerel, le président de la commission des finances de l’Assemblée. Côté roses, on trouve le député Philippe Brun, qui a mené les tractations entre les socialistes et le gouvernement Bayrou sur le budget. Mais aussi le président de la commission des finances du Sénat, Claude Raynal, et Thierry Cozic, un autre sénateur PS, vice-président de cette même commission. Enfin, le RN peut se prévaloir de deux députés, Jean-Philippe Tanguy et Matthias Renault.
Episode 8 : quelle est la suite du scénario ?
Théoriquement, la coalition gouvernementale est en position de force pour trouver un compromis qui lui convient en CMP. Mais cela ne garantit ni l’adoption du texte par l’Assemblée, ni la non-adoption d’une motion de censure contre le gouvernement. Beaucoup de choses dépendent de la position des socialistes : le texte adopté en CMP leur conviendra-t-il ? Si oui, le budget peut trouver une majorité pour être voté à l’Assemblée. Si non, le gouvernement peut dégainer un 49.3, et réintroduire dans le texte certaines mesures susceptibles d’adoucir les socialistes, pour les convaincre de ne pas soutenir la prochaine motion de censure. Mais en usant de termes extrêmement forts pour dénoncer l’immigration, ces derniers jours, suscitant la condamnation du PS, François Bayrou n’a pas mis toutes les chances de son côté.
Et si le texte issu de la CMP est amendé pour complaire aux socialistes, il y a de fortes chances que cela déplaise aux LR, qui ont déjà annoncé qu’ils pourraient ne pas le voter à l’Assemblée. Cela forcerait Bayrou à recourir au 49.3, sans risque cette fois, puisque la droite a d’emblée exclu de voter une motion de censure.