En football, on appelle ça marquer un but contre son camp. Lors du débat face à Gabriel Attal et Manuel Bompard lundi soir, Jordan Bardella a confirmé vouloir interdire certains emplois de la haute fonction publique aux binationaux pour des raisons, selon lui, de sécurité nationale. Alors que le Premier ministre dénonçait cette mesure, le patron du Rassemblement national lui a rétorqué : «Vous voulez mettre un Franco-Russe à la tête d’une centrale nucléaire, ça ne vous pose pas un sujet d’intérêt national ?» Un argument préparé à l’avance, censé pouvoir balayer les accusations de racisme qui poursuivent, à raison, son parti.
Le own de malade, comment des gens peuvent voter pour un abruti pareil pic.twitter.com/8NEVgVINhc
— Ecri' (@EcrisioFX) June 25, 2024
Manque de pot, Gabriel Attal s’attendait à une telle réplique. «Si c’est une mesure qui concerne les Franco-Russes dans les postes sensibles, est-ce que vous pouvez dire aux Français qui nous regardent qui est madame Tamara Volokhova ?» a interrogé en retour le macroniste. Et d’enchaîner, face à un Jordan Bardella pantois : «C’est votre conseillère au groupe ID (Identité et Démocratie) au Parlement européen, qui vous représente à la commission des Affaires étrangères sur les questions de sécurité et de défense. Il se trouve qu’elle est franco-russe, qu’elle assiste à des réunions à huis clos avec des informations confidentielles sur la guerre en Ukraine. […] La réalité c’est que votre proposition ne concerne pas du tout des Franco-Russes sur des postes importants. […] Avec le RN sur la double nationalité, Tamara c’est oui et Rachida c’est non.»
Si le nom de Tamara Volokhova ne disait, avant ce lundi soir, absolument rien au grand public, il est un peu plus connu des Alsaciens. Cette Russe aux origines ukrainiennes de 34 ans, arrivée en France quand elle en avait 17 et naturalisée en 2016, s’est présentée à plusieurs reprises dans le Bas-Rhin sous les couleurs du Rassemblement national, en marge de ses activités au Parlement européen. Elle apparaissait sur les listes du parti d’extrême droite aux municipales de 2020, puis a été candidate aux élections départementales de 2021 aux côtés d’un sosie vocal revendiqué de Johnny Hallyday, et aux législatives de 2022.
«Une menace de sécurité claire pour le Parlement européen»
A plusieurs reprises, ses liens avec certaines personnalités russes ont été dénoncés. En mars 2021, Rue 89 Strasbourg retraçait le parcours de Tamara Volokhova auprès du groupe d’extrême droite Identité et Démocratie au Parlement européen. Le média en ligne s’appuyait sur une enquête du chercheur ukrainien Anton Schekhovtsov qui démontrait que la Franco-Russe a, entre autres, travaillé pour les eurodéputés Aymeric Chauprade puis Thierry Mariani, tous deux connus pour leurs positions pro-russes. Elle les a d’ailleurs accompagnés à plusieurs reprises en Russie lorsqu’ils servaient de pseudo-observateurs internationaux pour légitimer les scrutins de Vladimir Poutine, comme le référendum en Crimée en 2014 ou pour la réforme constitutionnelle en 2020 qui lui permet de rester au pouvoir jusqu’en 2036.
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Pour Anton Schekhovtsov, Tamara Volokhova fait partie d’une stratégie russe pour infiltrer les institutions européennes et représente «une menace de sécurité claire pour le Parlement européen», compte tenu des accès qu’elle a aux travaux des commissions du Parlement sur les questions étrangères et de défense européenne. L’intéressée avait qualifié ces accusations de «grotesques».
En 2023, Mediapart remettait une pièce dans la machine. Pas d’enquête d’un chercheur indépendant cette fois-ci, mais une «note de la DGSI», datée de mars 2019, «pointant du doigt quatre membres, actuels ou passés, du Rassemblement national». D’après cette note, la Russie cherche, via des «relais d’influence en France», à «diffuser un discours anti-européen, anti-Otan, qui dénonce la “décadence” des sociétés occidentales mondialisées, et qui fait de la Russie la seule garante des “valeurs” conservatrices».
Là encore, les noms d’Aymeric Chauprade et de Thierry Mariani ressortaient. Tout comme celui de Tamara Volokhova. Les accusations sont les mêmes : participation et organisation de voyages en Russie pour elle et des eurodéputés d’extrême droite, parfois aux frais de la Russie. «A l’époque aussi, la collaboratrice était, selon la DGSI, “en contact avec Alexeï Kovalski”, alors conseiller politique de l’ambassadeur russe à Paris», détaillait par ailleurs Mediapart. Le média d’investigation notait par ailleurs qu’Alexeï Kovalski est considéré par les services français comme un «espion» du SVR, le service de renseignement russe.
Auprès de Mediapart, Tamara Volokhova n’avait pas souhaité s’exprimer. Mais le président de la délégation RN au Parlement européen, Jean-Paul Garraud, avait démenti les contacts avec Alexeï Kovalski et assurait qu’elle n’avait «aucune relation particulière qui pourrait être assimilée à un espionnage». Selon lui, Tamara Volokhova n’a pour «seul tort» que «d’avoir une double nationalité franco-russe».