C’est leur dernière cartouche pour empêcher la réforme du RSA contenue dans le projet de loi «plein-emploi». Les députés de gauche n’attendent plus que l’adoption définitive, le 9 novembre au Sénat, et probablement le 14 à l’Assemblée nationale – les deux chambres étant tombées d’accord sur une version commune, le 23 octobre, en commission mixte paritaire – pour déposer leur recours devant le Conseil constitutionnel. Ultime tentative d’empêcher l’entrée en vigueur des «heures d’activité» – la droite en demande «au moins quinze» obligatoires – pour conserver un revenu minimal de subsistance, soit 607 euros par mois pour une personne seule, en comptant les allocations logement.
Reportage
Pour le député La France insoumise Hadrien Clouet, il s’agit de faire dérailler cette tentative de substitution du «service public de l’emploi» par ce qu’il qualifie d’«espèce de grande officine générale, où tout le monde serait mis au travail forcé, quelle que soit sa condition, sa situation et celle de ses proches». La version du projet de loi qui sera adopté au Parlement permet cependant aux départements de «rédui[re]» cette durée hebdomadaire, «sans toutefois être nulle», selon la situation des personnes, et prévoit des exemptions. «C’est un texte qui va créer de la très grande pauvreté, souligne cependant le député socialiste Arthur Delaporte. Il vise à faire des économies sans réellement accompagner les allocataires du RSA, alors que ça devrait être le principal objectif.»
«Privation absolue et totale de ressources»
Unis dans cette opposition malgré les déchirements de leurs directions, les députés de gauche vont donc plaider la non-conformité de certains aspects du texte avec la Constitution de 1958. Par exemple, priver de RSA les allocataires qui ne rempliraient pas leurs obligations s’opposerait, selon Hadrien Clouet, au droit à la sécurité matérielle, puisqu’il mènerait «certaines familles» à «la privation absolue et totale de ressources». Le député LFI de Haute-Garonne estime également que ces activités obligatoires vont à l’encontre du droit à la liberté contractuelle, dans la mesure où elles pourraient s’apparenter à du travail «non rémunéré» et «sans contrat de travail». Le projet de loi, qui prévoit de laisser une certaine marge de manœuvre aux départements et à France Travail (futur nom de Pôle Emploi) quant à la nature des activités et des sanctions, constituerait également, selon lui, une rupture d’égalité entre les allocataires, dépendants alors de leurs départements. «A allocations nationales égales, il y aura un contrôle, lui, inégal», juge-t-il.
De son côté, le socialiste Arthur Delaporte pointe une atteinte à la vie privée. Le texte sur lequel députés et sénateurs se sont entendus prévoit une inscription automatique des allocataires à France Travail. Cela n’était jusqu’alors pas le cas : seulement 40% des bénéficiaires actuels sont inscrits à Pôle Emploi. Or, demain, les conjoints seront aussi concernés par cette inscription automatique, et ce même s’ils ne sont pas demandeurs d’emploi.
«Garantir des droits nouveaux»
Ces parlementaires de gauche comptent également profiter de ce recours pour demander au Conseil constitutionnel de se prononcer sur des points «qui jusqu’à présent ne font pas l’objet de précédents juridiques», fait valoir Hadrien Clouet. «L’enjeu, c’est aussi d’avoir une base juridique permettant de garantir des droits nouveaux», ajoute l’insoumis. Arthur Delaporte s’attend à ce que la suppression de l’allocation en cas de non-respect des conditions du «contrat d’engagement» pousse les «sages» à se prononcer sur «un droit à un revenu minimum d’existence», qui n’est, à ce jour, pas garanti par la loi en France et est une des propositions portées par le PS. Plus généralement, l’élu du Calvados estime que les «principes du droit à la dignité, qui sont reconnus au niveau conventionnel, pourraient et devraient aussi être protégés par la Constitution». C’est beaucoup demander.