Le cœur du réacteur. Les députés de la commission des lois ont planché ce jeudi 30 novembre sur le titre de séjour «métiers en tension», au cœur du projet de loi «immigration» porté par Gérald Darmanin. Le principe initial visait à accorder une carte de séjour aux étrangers sans papiers travaillant dans des secteurs en manque de bras. Au Sénat, où le texte a commencé son parcours législatif lundi 6 novembre, les sénateurs de droite et du centre l’ont supprimé. Une version durcie a été introduite.
A l’Assemblée nationale, le camp macroniste n’en voulait pas. Le rapporteur général du projet de loi, Florent Boudié, a donc concocté un amendement de substitution. Concrètement, il prévoit toujours la délivrance d’une carte de séjour pour les travailleurs des métiers en tension, de manière temporaire et uniquement dans certaines régions. Le préfet, lui, dispose d’un droit de veto. Il peut s’opposer à une demande de régularisation si le demandeur présente une menace pour l’ordre public, s’il contrevient au «respect des principes de la République» ou encore s’il «vit en France en état de polygamie».
«Une quatrième ligne rouge»
La majorité s’est empressée de défendre cette nouvelle version. Le président de la commission des lois, Sacha Houlié, a reconnu que ce «n’est pas la version [qu’il] juge idéale» mais le fruit d’un «compromis». «Ce dispositif est un dispositif d’équilibre, a complété la corapporteure (Modem) Elodie Jacquier-Laforge. Ce n’est ni une procédure discrétionnaire ni un droit automatique à la régularisation.» Présent en commission depuis le début de la semaine, Darmanin a également défendu le principe d’une demande de régularisation sans l’aval de l’employeur, dans des secteurs en tension «pas si nombreux que ça» et dans des «zones géographiques où il y a des difficultés d’embauche».
Le ministre de l’Intérieur a surtout taquiné les oppositions. La gauche d’abord, renvoyée à la circulaire Valls, qui assouplissait en 2012 les critères de régularisation pour les familles et les célibataires occupant un emploi. «Le gouvernement socialiste de François Hollande a préféré l’hypocrisie», a-t-il tancé. La droite ensuite, opposée par principe à toute nouvelle régularisation, mais pas exempte de demandes individuelles adressées aux préfets. «Tous les groupes politiques, a lancé Darmanin, m’écrivent pour demander des régularisations.» Fin octobre, le chef de file des députés LR, Olivier Marleix, avait saisi la Commission nationale de l’informatique et des libertés, soupçonnant Darmanin de «collecter des données» sur les élus de droite réclamant des régularisations de leurs circonscriptions. Des «méthodes de voyou», ronchonnait Marleix.
La nouvelle formule de l’article 3 ne fait également pas le plein au sein de la majorité. «Je suis attachée à ce qu’on reste sur un titre à part entière et pas à la discrétion du préfet», note Stella Dupont, députée Renaissance marquée à gauche. Avec Boris Vallaud, le président du groupe socialiste, l’élue du Maine-et-Loire a tenté de réintroduire l’article 3 initial, celui visant à être «gentil avec les gentils», selon la formule «darmanesque». Sans succès. La nouvelle copie ne satisfait pas davantage la droite. «L’amendement Boudié, ça ne passera pas chez nous», prévenait dans la semaine un député LR. «Vous avez supprimé les quotas, rétabli l’AME, supprimé le délit de séjour irrégulier et, avec cet article, vous consacrez un droit à régularisation pour les personnes irrégulières dans les métiers en tension, a épluché la députée LR Annie Genevard face à Darmanin. Vous créez un droit opposable et des sources de contentieux probablement infinies. C’est une quatrième ligne rouge. Nous sommes frontalement opposés à cette disposition.»
«On assiste au naufrage idéologique et moral de LR»
Sur X (ex-Twitter), Eric Ciotti, le patron du parti Les Républicains, a également regretté les «digues» perdues du Sénat. «L’appel d’air migratoire est en marche !» Le même vocabulaire utilisé par le Rassemblement national en commission. «Vous êtes en train de créer la régularisation à des gens qui n’ont pas respecté les lois de la République», a maugréé Yoann Gillet, député RN du Gard, parlant lui aussi d’un «appel d’air». «On assiste au naufrage idéologique et moral de LR, observe Cyrielle Chatelain, présidente du groupe écologiste. Ils ont l’obsession [de penser] que pour gagner, il faut être plus extrême que l’extrême droite. Mais dans un jeu où c’est le RN qui définit les règles, ils ne peuvent pas gagner.»
Au quatrième jour d’examen du projet de loi en commission, l’exercice de Darmanin tient toujours du funambulisme. Après avoir donné sa bénédiction aux réclamations droitières du Sénat, l’ancien maire de Tourcoing ne s’oppose pas à la réécriture du texte par sa propre majorité. De quoi se faire affubler du surnom de «doppelgänger» par Boris Vallaud, en référence à la figure du double. «On a été clair sur l’AME, le code de nationalité, la révision constitutionnelle, défend un ministre. On a des principes, et on ne va pas revenir dessus.» S’il juge «utile» la présence continue de Darmanin en commission, ce membre du gouvernement ajoute, taquin : «On tend la main pour la beauté du geste, mais aussi pour la majorité.»