Cinq voix manquantes et le gouvernement vacille. L’hémicycle explose. De bruyants cris de satisfaction descendent des bancs de la gauche et de l’extrême droite. Du côté des insoumis, on s’enlace comme si on venait de remporter une présidentielle. Les députées Sarah Legrain et Danièle Obono narguent une majorité déconfite. Le groupe mélenchoniste se filme pour la postérité. Ce lundi 11 décembre, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, vient d’essuyer un lourd camouflet. La motion de rejet préalable portée par les écologistes contre le projet de loi immigration vient d’être adoptée. Il faudra rechercher dans les archives de l’Assemblée pour retrouver pareil camouflet pour un gouvernement…
«Un mauvais texte présenté pour de mauvaises raisons»
A la sortie de la séance, rares sont les députés de la majorité à pointer le bout de leur nez devant les journalistes pour tenter d’expliquer la débandade. D’autant qu’une poignée de députés du camp présidentiel étaient absente lors du vote. Salle des Quatre-Colonnes, les élus de gauche, eux, jubilent. «Nous demandons maintenant au gouvernement de retirer cette loi», lance Mathilde Panot, la cheffe de file des députés La France insoumise (LFI), pointant une «une crise de pouvoir». Le communiste Fabien Roussel réclame lui aussi le retrait du projet de loi. Le député Génération·s, membre du groupe écolo, Benjamin Lucas peine à cacher sa joie. «Je suis fier qu’on ait empêché de débattre d’un mauvais texte présenté pour des mauvaises raisons, sourit-il. Ce n’est qu’un vote de rejet mais cela doit être le point d’appui pour reprendre le flambeau de la bataille pour la fraternité.» Quelques instants plus tôt, à la tribune, l’élu des Yvelines lançait à l’attention des députés Les Républicains (LR) et Rassemblement national (RN) que voter la motion ne serait «en rien une adhésion à [son] propos». «Je sais qu’ici il n’existe pas sur ce sujet de majorité pouvant se rattacher à [mon] analyse. Mais il n’existe pas davantage de majorité autour du texte du gouvernement», affirmait-il.
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A l’extrême droite, la satisfaction est partagée. «Ce gouvernement, comme il ne sait pas où il va, croit que la politique c’est du rodéo», moque Marine Le Pen, la patronne du groupe RN, soulignant, tout sourire, un «désaveu extrêmement puissant, un désaveu du “en même temps”». Ses troupes ont entretenu le suspense jusqu’à l’issue d’une réunion convoquée en milieu de journée. «On ne pouvait pas prendre le risque que les courageux LR finissent par débander et se fassent débaucher un par un, rembobine un député RN. Donc il fallait y aller.»
«La politique, c’est de la dynamique»
Côté LR, le groupe l’a joué profil bas dans l’hémicycle, évitant de se mêler aux applaudissements du RN et de la gauche. «Nous ne refusons pas de débattre, relève Annie Genevard, députée du Doubs. Mais pas sur les bases du gouvernement.» Dans l’hémicycle, le président du groupe LR, Olivier Marleix, a déploré un texte du Sénat «piétiné en commission des lois» et devenu une «fausse promesse». «Pire, ce texte entraînera un droit à la régularisation», ajoute le député d’Eure-et-Loir.
La droite espère ainsi rediscuter de la version du projet de loi largement durci par la majorité sénatoriale de droite. Ce sera la «seule boussole» du parti Les Républicains, a réagi son président, Eric Ciotti. Une majorité du groupe (40 sur 62) a voté la motion. Une décision également prise au dernier moment, après une réunion à huis clos, et après le RN. «On ne se positionne pas par rapport aux uns et autres», précise toutefois Pierre-Henri Dumont qui ajoute, taquin : «Un ministre de l’Intérieur dirait que la politique, c’est de la dynamique.» Formule répétée ces dernières semaines par… Gérald Darmanin.
«Retour de bâton à l’arroseur Darmanin»
De fait, pour le ministre de l’Intérieur, la douche est glaciale. Dans les jours précédant le vote de la motion, il n’avait pas ménagé ses efforts, enchaînant les tête-à-tête, laissant à son cabinet le soin d’appeler individuellement des députés LR, leur promettant ici ou là une brigade de gendarmerie… Quitte à confondre les élus. Mercredi, le socialiste de l’Eure Philippe Brun a eu le plaisir d’apprendre que de nouveaux effectifs de force de l’ordre seraient envoyés en Ardèche. L’entourage du ministre pensait parler à son homonyme… le LR Fabrice Brun. «C’est un retour de bâton à l’arroseur Darmanin. Il a cru jusqu’au dernier moment pouvoir gagner des voix par-ci par-là, mais il s’est mis dans l’impasse», tacle le socialiste Arthur Delaporte. «On savait que ça serait serré, soupire Elodie Jacquier-Laforge, vice-présidente (Modem) de l’Assemblée. Mais là, ça s’est joué à un cheveu.»
Jusqu’au dernier moment, Gérald Darmanin a tenté de convaincre les députés d’aller au débat. Une discussion soi-disant «essentiel[le] et nécessaire que personne ne peut rejeter d’un revers de la main». «Refuser les débats, c’est refuser ce que demandent les Français», insiste-t-il. Tout en se disant une nouvelle fois ouvert aux propositions des parlementaires, notamment au rétablissement du délit de séjour irrégulier ou de la tenue d’un débat organisé chaque année au Parlement sur l’immigration. Deux mesures chères à la droite. A la tribune, le ministre annonce également le dépôt prochain d’un texte visant à réformer l’Aide médicale d’Etat (AME) que le Sénat avait supprimé. «La main du gouvernement est tendue dans l’intérêt général de tous les Français», assure-t-il alors. Scotché au banc des ministres à écouter les oppositions étriller son projet de loi, le locataire de Beauvau a fini par décocher des flèches à tour de bras.
A la gauche, il reproche des «clins d’œil» et des «compromissions avec le parti de Madame Le Pen». «Vous vous êtes compromis et cela va vous coller longtemps aux basques», attaque-t-il, avant de s’en prendre aux élus LR : «Une partie de la droite va voter avec la Nupes qui est désormais hors du champ républicain.» Depuis son ministère, après le vote, le ministre du Travail, Olivier Dussopt, porteur du volet «intégration» du texte, grimace lui aussi : «Beaucoup de parlementaires qui réclament depuis des mois et des mois un débat sur l’immigration viennent de se priver eux-mêmes d’un débat sur l’immigration.» C’est aussi ça, les joies de la démocratie.