«Remettre ce sujet en chantier.» Voilà la terminologie employée par François Bayrou pour renvoyer l’épineuse question de la réforme des retraites aux partenaires sociaux, invités à siéger au sein d’une «délégation permanente» consacrée à ce sujet dès vendredi 17 janvier. A la Cour des comptes, le Premier ministre entend confier une «mission flash de quelques semaines», dont le diagnostic sur «l’état actuel et précis du système de financement des retraites» devra nourrir les discussions, supposées durer trois mois. Y compris sur l’âge légal, censé être repoussé à 64 ans d’ici à 2030.
«Mais si les partenaires ne s’accordaient pas, la réforme actuelle continuerait à s’appliquer», a prévenu François Bayrou durant son discours de politique générale. La condition d’un accord ? Ne pas «dégrader l’équilibre financier que nous cherchons», fixe le Premier ministre. Un arbitrage diversement commenté dans le monde social.
Discuter n’est pas abroger
La nouvelle est accueillie plutôt favorablement par certains syndicats. «La réforme est en pause et nous avons la main pour quelques mois», estime ainsi la CFDT. Le syndicat note que «tous les sujets sont sur la table», «mais il va falloir que les employeurs jouent le jeu». Tout l’enjeu est là, alors qu’ils n’ont jamais été demandeurs d’une révision de la réforme. C’est pourquoi la CFTC n’est «pas optimiste sur l’aboutissement», mais tout de même «volontariste», selon son président Cyril Chabanier. Lequel s’interroge à voix haute sur la faculté des acteurs sociaux à s’entendre : «En est-on capable ?» A partir de vendredi 17 janvier, le syndicaliste cherchera à démontrer qu’il existe d’autres solutions que celles «privilégiées depuis vingt-cinq ans», c’est-à-dire «le report de l’âge légal et l’augmentation de la durée de cotisation», jugées «traditionnelles et simplistes». «Depuis deux ans, nous avions des gouvernements complètement sourds à nos demandes», ajoute Cyril Chabanier, considérant que les tractations à venir sont «une chance inespérée de montrer la richesse du dialogue social dans notre pays».
Bien plus critique, la CGT dénonce dans un communiqué le choix de reprendre la réforme en cas de désaccord à l’issue des échanges : «En annonçant d’ores et déjà que l’absence d’accord se traduirait par le maintien de la réforme actuelle, le Premier ministre biaise d’entrée de jeu les discussions et place le patronat en position de force». Et François Hommeril, le président de la CFE-CGC, de fustiger : «Bayrou n’a rien annoncé. Ou plutôt, il a dit la même chose que tous les Premiers ministres depuis cinq ans maintenant.» Reçu le 9 janvier à Matignon, le syndicaliste n’a rien retenu de positif de cette rencontre. Il fustige le désintérêt du gouvernement pour les organisations syndicales : «A quoi ça sert de nous recevoir si c’est pour ne rien nous dire ?»
«Suspendre la réforme aurait envoyé un mauvais signal»
Côté patronal, on affiche davantage de sérénité. «L’impératif d’équilibre financier posé pour «remettre en chantier la question des retraites» correspond à notre conviction», réagit ainsi le Medef, qui insiste pour que «ces discussions s’inscrivent dans le cadre de budgets ne portant pas atteinte à la compétitivité, à la croissance et à l’emploi». Et comme l’avait suggéré son président, Patrick Martin, à l’issue de son entretien avec François Bayrou la semaine dernière, le mouvement patronal souhaite en profiter pour évoquer le «niveau, le financement et la gouvernance de régimes sociaux épuisés».
Mêmes envies chez la Confédération des petites et moyennes entreprises, qui compte proposer «des pistes pour sécuriser notre système de retraites en ajoutant au dispositif par répartition, une part de capitalisation individuelle». Quant à l’U2P, mouvement de commerces de proximité et d’artisans notamment, elle «accueille avec satisfaction» l’annonce du Premier ministre car, selon elle, «commencer par suspendre la réforme des retraites de 2023 aurait envoyé un mauvais signal à l’ensemble des acteurs politiques et sociaux». De quoi électriser les échanges.