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Réactions

Révélations de «Libé» sur les dîners secrets avec le RN : Edouard Philippe assume, la macronie patauge, la gauche mitraille

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Une fois digéré notre article sur les rencontres secrètes organisées chez Thierry Solère entre Marine Le Pen, Jordan Bardella et des figures du camp présidentiel, le monde politique prend position ce mercredi 10 juillet.
Edouard Philippe au siège du Medef à Paris le 20 juin 2024. (Stephanie Lecocq/Reuters)
publié le 10 juillet 2024 à 12h49

Les réactions politiques s’enchaînent ce mercredi 10 juillet, au lendemain des révélations de Libération sur les dîners secrets organisés au domicile du conseiller officieux d’Emmanuel Macron Thierry Solère, entre Marine Le Pen, Jordan Bardella, et des cadres de la majorité présidentielle. Mardi soir au 20 heures de TF1, l’ancien Premier ministre Edouard Philippe a notamment confirmé avoir participé à une rencontre avec Marine le Pen.

«Franchement vous êtes pitoyables, irresponsables et indécents», tance sur X (ex-Twitter) la sénatrice écologiste des Français de l’étranger Mélanie Vogel, à l’adresse du patron de la formation Horizons. Une position partagée par plusieurs représentants du Nouveau Front populaire. Sur le même réseau social, Aymeric Caron, dénonce une mauvaise «blague» : «Rappelons qu’Edouard Philippe est résolument anti-LFI, qu’il fait mine de mettre en équivalence avec le RN… alors qu’en fait il préfère l’extrême droite.»

De son côté, l’eurodéputée écologiste Karima Delli fustige un comportement «lamentable». «Qui imagine de Gaulle dîner avec Pétain pour comprendre la France ?» s’interroge-t-elle, en référence à l’argument de l’ancien locataire de Matignon, selon lequel «Marine Le Pen fait plus de 30 % à l’élection présidentielle».

«Tous ces macronistes élus grâce au désistement d’un candidat NFP (dont de nombreux candidats LFI) qui désormais affirment vouloir censurer un gouvernement du NFP dans lequel siégeraient des insoumis… c’est pour retrouver une place à dîner avec Le Pen ?» raille de son côté le fraîchement réélu député des Yvelines Benjamin Lucas.

«Ce que nous racontons depuis des années : le pouvoir se radicalise violemment en déroulant le tapis rouge à l’extrême droite. A la fin ce sera seulement nous contre eux, et il va falloir tenir la ligne, ne rien céder, sinon on est cuit», a martelé sur X Raphaël Arnault, porte-parole du groupe antifa La jeune garde et nouveau député LFI de la première circonscription du Vaucluse.

Un «mauvais signal»

Dans le camp présidentiel, les déclarations montrent une certaine fébrilité. Le président du Modem, François Bayrou, a estimé ce mercredi sur RMC-BFMTV que ces rencontres en compagnie de l’extrême droite envoyaient un «mauvais signal à l’égard du pays» et multipliait «les signes qui vont dans leur sens». Regrettant le choix d’Edouard Philippe, ce proche d’Emmanuel Macron a estimé qu’«il y a entre nous et l’extrême droite un fossé qui est infranchissable». Selon le maire de Pau, dîner avec la cheffe de file de l’extrême droite «veut dire peu ou prou qu’on peut imaginer qu’il y ait des rapprochements», tout en jugeant «absolument essentiel» de tenter de «comprendre» les raisons du vote RN.

Autre figure du bloc de la majorité présidentielle et proche de Thierry Solère, Gérald Darmanin marque son désaccord et prend ses distances avec son ancien Premier ministre. Invité de CNews ce mercredi, il a notamment été interrogé sur ces agapes nocturnes en plein Paris avec les représentants du parti d’extrême droite. Le ministre de l’Intérieur assure que lui n’y aurait pas pris part : «Edouard Philippe dîne avec qui il souhaite. Moi je n’aurais pas dîné avec Marine Le Pen. […] J’aime beaucoup Edouard Philippe, je ne sais pas dans quelles conditions cela s’est passé.» Regardant vers 2027, le député de Tourcoing (Nord) s’écarte tactiquement de son futur rival.

«C’est un peu dérangeant», juge de son côté Valérie Pécresse. Interrogée ce mercredi sur France Info, la présidente (LR) de la région Ile-de-France a estimé ne pas être «sectaire» et parler «avec [ses] adversaires», mais avoir «le sentiment que quand on va dîner avec quelqu’un, quand on partage le pain avec quelqu’un, c’est un peu qu’on est proche». L’ancien candidate de la droite à la présidentielle 2022 assure également qu’elle ne dînerait pas avec le tandem d’extrême droite Le Pen-Bardella, mais rappelle échanger régulièrement avec eux pour «des vraies conversations».

Pour sa part, l’ancien Premier ministre Edouard Philippe a assumé mardi soir sur le plateau du 20 heures de TF1 avoir partagé une table, en décembre, avec la triple candidate d’extrême droite à la présidentielle : «Nous avons dîné parce qu’on se connaît peu.» Une rencontre qui ne «dérange pas» le chef du parti Horizons : «On a constaté à l’occasion du dîner, qui était un dîner cordial, que nous avions des désaccords très profonds sur de très nombreux sujets.» Le maire du Havre ajoute : «J’aime bien rencontrer les gens. Marine Le Pen fait plus de 30 % à l’élection présidentielle. D’ailleurs, je pourrais dîner avec Marine Le Pen comme avec Jean-Luc Mélenchon et à chaque fois, je leur ferais part de désaccords très profonds sur des sujets très nombreux.»

Au RN, «on dîne avec qui on veut»

Au sein du Rassemblement national, on répond haïr le «flicage». Sébastien Chenu était ce mercredi l’invité de RTL, où il a expliqué avoir, lui aussi, «dîné avec Thierry Solère il y a longtemps», sans y voir de problème. «Je préfère dîner avec Thierry Solère que les gens qui vont au Siècle [cercle de l’élite parisienne, ndlr] dîner avec Olivier Duhamel, lâche le vice-président du parti d’extrême droite. Dans un cadre républicain, on peut dîner avec un collègue qui n’a pas les mêmes options politiques […] je déteste le flicage, qu’on vienne renifler, chercher à savoir avec qui on dîne et qui on rencontre. Dans une démocratie, on dîne avec qui on veut.»

Depuis l’Assemblée nationale ce mercredi, son collègue Philippe Ballard reprend le même argument : «On dîne avec qui on veut.» Et d’ajouter : «On n’est pas sectaires. On est le premier parti de France en suffrages, on va travailler dans l’intérêt des Français.»

Au Palais-Bourbon, Marine Le Pen a aussi tenté la technique «circulez, il n’y a rien à voir» : «Ça n’engage à rien si ce n’est faire preuve de civilité républicaine.» A une question de Libé, elle précise : «Je dîne avec toute une série de gens. C’est normal. Ça ne veut pas dire qu’Edouard Philippe partage mes idées ou que je partage les siennes.» Et la patronne du parti d’extrême droite de balayer un acte d’une «totale normalité». Tellement normal que le sujet s’impose désormais dans une actualité politique déjà bien chargée.