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Reportage

François Ruffin à la fête de l’Huma : «C’est un peu une fête de famille. On s’engueule, on se secoue, on se chahute»

Ce samedi 14 septembre, malgré les huées qui ont accompagné une des interventions de François Ruffin, le Nouveau Front populaire s’est offert une image d’unité lors du festival annuel organisé par les communistes.
Le député de la Somme, François Ruffin, lors de sa conférence sur la démocratie sur le stand de son parti, Picardie Debout, le 14 septembre 2024 à la Fête de l'Humanité. (Cyril Zannettacci/Vu pour Libération)
publié le 14 septembre 2024 à 12h24
(mis à jour le 14 septembre 2024 à 20h27)

Même à 1 heure du matin, avec de la bonne musique, les haines les plus profondes peuvent rester tenaces. Vendredi soir, dans les allées de la Fête de l’Humanité, plusieurs dizaines de jeunes dansent sur Pookie d’Aya Nakamura sur le stand de Picardie Debout, le petit parti de François Ruffin. Cinq militants insoumis passent par-là et balancent : «Oula non je ne vais pas chez les racistes moi», lâche l’un d’eux en se marrant. «Faut pas qu’on soit vu ici c’est vraiment trop la honte. C’est un coup à se faire chambrer pendant des mois ça», lance un autre. Après quelques petites minutes de curiosité, le petit groupe rebrousse chemin sans s’être aventuré dans ce territoire «hostile», dixit un des fêtards mélenchonistes. La dernière charge du député de la Somme est encore trop fraîche pour se laisser corrompre par une bonne playlist…

Déjà exécrables, les relations entre François Ruffin et la France insoumise se sont aggravées en début de semaine après la dernière tournée médiatique du réalisateur césarisé de Merci Patron !. Désormais hors du mouvement fondé par Jean-Luc Mélenchon depuis son départ avec fracas durant l’entre-deux tours des législatives anticipées, le Picard accuse LFI de s’être laissé aller à une dérive communautariste. L’ancien journaliste déplore que le triple candidat à la présidentielle et les siens aient fait le choix, selon lui, d’abandonner toute une partie de la population pour ne se concentrer sur les quartiers populaires et les jeunes racisés. Dans son dernier livre, Itinéraire. Ma France en entier, pas à moitié, l’Amiénois admet avoir mené «une campagne au faciès» en 2022. «Dans les immeubles d’Amiens nord, quand je tombais sur un noir ou un arabe, je sortais la tête de Mélenchon en bien gros sur les tracts. C’était le succès presque assuré mais dès qu’on tombait sur un blanc, ça devenait un verrou», raconte le député de la Somme.

«Une prise de parole à suivre»

De quoi faire bondir le noyau dur insoumis qui n’a pas manqué de réagir. «Ruffin-Zemmour même combat ?», s’interroge le coordinateur du mouvement Manuel Bompard dans une note de blog. Invité avec les autres chefs de partis Olivier Faure, Marine Tondelier et Fabien Roussel à discuter sur scène des défis qui se présentent face au NFP, le proche de Jean-Luc Mélenchon en profite pour répondre à nouveau à Ruffin sans jamais le citer. «Personne ne considère qu’il y a des Français qu’il faudrait abandonner, insiste le député des Bouches-du-Rhône, très applaudi. Ceux qui pensent qu’il faudrait mettre certains sujets de côté comme les questions antiracistes car ils seraient des répulsifs pour le reste de la population se trompent. Je ne serai jamais d’accord avec eux.» Un message envoyé aux personnalités de gauche qui estiment que le meilleur moyen d’attirer les classes populaires est de prioriser les questions sociales au profit des sociétales. «Bien sûr qu’il faut parler à tout le monde mais c’est normal quand on est une formation politique d’élaborer des stratégies qui permettent d’élaborer des marges de progressions», ajoute-t-il.

Jusqu’ici, Jean-Luc Mélenchon, s’était bien gardé de riposter aux accusations de Ruffin. Même pas une note de blog ni même un petit tweet. Le triple candidat attendait son discours à la fête de l’Huma disaient certains insoumis parlant d’une «prise de parole à suivre». Sur le sujet, le triple candidat à la présidentielle restera finalement sobre, ne prononçant même pas une seule fois le nom du Picard. «Nous assumons notre travail dans les quartiers populaires. Nous disons à tous ceux qui nous demandent d‘aller ici ou là qu’ils y aillent et qu’ils nous laissent nous nous occuper des quartiers populaires», clame-t-il. Avec cette stratégie, l’ancien ministre de Lionel Jospin estime que «jamais [son mouvement] n’a été aussi fidèle aux combats de la gauche.» Et prévient : «ceux qui nous détournent de cet objectif nous détourneraient de la victoire que nous finirons par remporter à force de travail, et de force de conviction.» D’ailleurs, selon Mélenchon, «si les quartiers et les plus pauvres avaient voté comme le reste du pays, à cette heure [le NFP aurait] la majorité absolue».

«Tu as blessé énormément de camarades»

François Ruffin lui aussi avait décidé de la jouer profil bas. En début d’après-midi, avec une autre «ex» de LFI, Charlotte Girard, partie après les élections de 2017 pour désaccord sur l’aspect «démocratique» du mouvement, il s’est contenté d’une «discussion publique» qui a pris la forme d’une conférence très théorique sur la Constitution et les institutions. A aucun moment, le Picard n’est revenu sur ses propos du début de semaine vis-à-vis de La France insoumise. Les plusieurs agents de sécurité postés devant le stand de Picardie Debout pour prévenir des éventuelles perturbations n’auront rien eu à faire…

L’organisation n’a en revanche pas pu empêcher les huées du public, plus tard dans la journée, lors d’un débat consacré à la conquête des classes populaires. Présent sur scène à côté de Ruffin, le nouveau député LFI Raphaël Arnault scande des «siamo tutti antifascisti» («nous sommes tous des antifascistes») avec le public apparemment bien fourni en militants de la Jeune garde dont il a été le porte-parole et utilise la tribune qui lui est offerte pour apostropher l’élu de la Somme : «Tu as blessé énormément de camarades notamment la jeunesse qui s’est largement mobilisée […] Tu es dans la faute politique», lance-t-il au Picard qui ne bronche pas. Jusqu’à ce que la parole lui soit donnée. Micro en main, l’ancien journaliste répète son «profond désaccord moral et électoral» avec Jean-Luc Mélenchon qui, à ses yeux, mène une stratégie «suicidaire puisqu’elle ne permet pas d’être majoritaire dans le pays». Et ajoute : «La fête de l’Huma c’est un peu une fête de famille. On s’engueule, on se secoue, on se chahute, c’est normal.»

Cheminer ensemble

Malgré la brouille entre anciens camarades, la gauche aura tout de même profité de cette nouvelle édition de la Fête de l’Huma pour afficher sa volonté de continuer à cheminer ensemble alors que le gouvernement de Michel Barnier doit être dévoilé dans les prochains jours. Réunis devant du public pour la première fois depuis l’Université Libé organisée à la Sorbonne au printemps 2023, Faure, Bompard, Tondelier et Roussel ont tous promis de tout faire pour éviter un scénario identique à celui la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes). «Nous devons préserver cette unité comme un bien commun qui va nous permettre de construire et d’avancer», prévient le secrétaire national du PCF. Avant que le premier secrétaire du PS ne lui emboîte le pas : «Je plaiderai jusqu’à la fin pour que nous puissions cultiver l’unité, pour faire en sorte que les rêves que nous avons formulé ensemble deviennent réalité.»

Habituée à faire le show sur scène, Marine Tondelier est la cheffe de parti la plus applaudie ce samedi après-midi. L’écologiste l’est d’ailleurs tout particulièrement quand elle affirme «qu’évidemment», la gauche devra présenter une candidature unique à la présidentielle de 2027. Pour atteindre cet objectif, l’élue d’Hénin-Beaumont prend à témoin les militants – comme elle le fait souvent – pour appeler ses partenaires à cesser les invectives. «On a été cons chacun notre tour mais je ne veux plus qu’on se donne en spectacle», scande-t-elle. Pour autant, il est normal que des divergences existent entre les quatre formations souligne Roussel qui demande juste à «ce qu’elles soient débattues sans invective et sans insulte». Pour combien de temps ?

Mise à jour à 20 h 17 avec l’intervention de Jean-Luc Mélenchon.