Au lendemain d’une quatorzième mobilisation contre la réforme des retraites, le gouvernement compte sur son projet de loi «plein emploi» pour tourner la page. Il a été présenté ce mercredi 7 juin en Conseil des ministres. L’objectif : atteindre les 5 % de chômage à l’horizon 2027, un taux «à portée de main», a soutenu Olivier Véran à la sortie du Conseil des ministres. Alors qu’il s’élève actuellement à 7,1 %, l’exécutif mise sur plusieurs mesures pour le faire baisser.
Adieu Pôle Emploi, bonjour France Travail
«Le Service public de l’emploi se caractérise par l’atomicité et la complexité», a pointé Olivier Dussopt, lors de la même conférence de presse. Le texte prévoit de simplifier le dédale d’acteurs chargés de l’accompagnement des demandeurs d’emploi, entre organismes publics, collectivités locales et prestataires privés. Pour y voir plus clair et faciliter les démarches des chômeurs, la plateforme France Travail – qui remplacera Pôle Emploi dès le 1er janvier 2024 – sera une entrée unique, auxquels s’inscriront tous les privés d’emploi avant d’être réorientés vers les organismes compétents. Un projet qui mobilisera «de l’ordre de 2,3 à 2,7 milliards d’euros de financements cumulés sur la période 2024-2026», selon le rapport du Haut-Commissaire à l’emploi, Thibaut Guilluy. Un budget également destiné à remédier au manque de liens entre les acteurs, qui ralentit le traitement de certains dossiers. Pour coordonner le système, le texte prévoit l’installation d’un comité France Travail à chacun des niveaux territoriaux : un par bassin d’emploi, un par département, un par région, le tout chapeauté par le comité national.
Si, dans un communiqué, la CFDT y voit de «réelles avancées pour l’accompagnement des publics les plus en difficulté», Guillaume Bourdic, représentant syndical CGT-Pôle Emploi, se montre plus réservé, craignant qu’avec France Travail «les demandeurs d’emploi soient encore plus orientés vers des prestations sous-traitées à des entreprises privées, faute de temps et d’effectifs dans le public».
Le RSA et les heures d’activités hebdomadaires
Lors de leur inscription à France Travail, tous les demandeurs d’emploi devront signer avec leur conseiller un «contrat d’engagement». Pour les bénéficiaires du RSA, bien qu’elles ne soient pas citées dans le texte, ce sont les quinze à vingt heures d’activités hebdomadaires évoquées par Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle et expérimentées par plusieurs départements depuis cette année. «Il ne s’agit pas de travail gratuit ni de bénévolat obligatoire», assure le ministre du Travail. Concrètement, les personnes au RSA devront réaliser des parcours de formations, des ateliers CV ou encore des stages en entreprise, pour toucher leur allocation (aujourd’hui, 607,75 euros pour une personne seule). C’est l’application de la logique de «droits et devoirs», voulue par Emmanuel Macron. À la sortie du Conseil ministres, Olivier Dussopt a également réaffirmé sa volonté de «mieux agir en termes de sanction et de contrôle». C’est dans cet objectif que le projet de loi crée aussi une nouvelle sanction pour les demandeurs d’emploi, y compris ceux au RSA. S’ils sont absents à leurs deux premiers rendez-vous ou s’ils ne tiennent pas leurs engagements, leur allocation pourra être suspendue. Un versement des droits non touchés pourrait avoir lieu ultérieurement en cas de «remobilisation».
Une mesure critiquée par les syndicats. Selon la CFDT, appliquer les mêmes sanctions à un revenu destiné à compenser la perte de rémunération entraînée par la sortie de l’emploi et au RSA est «un non-sens». L’organisation syndicale y est «fermement opposée». Guillaume Bourdic, de la CGT, fustige, lui, «un contrat d’engagement qui offre plus de devoirs que de droits» et craint que le «renforcement des contrôles de la recherche d’emploi» augmente le nombre de suppression d’allocation et de radiation.
«Construire un service public de la petite enfance»
Désignée comme un «obstacle à l’emploi» et un «parcours du combattant», par le ministre des Solidarités, Jean-Christophe Combe, les difficultés liées à la garde d’enfants sont aussi dans le viseur du gouvernement. Dans une interview à Ouest-France, la Première ministre avait déjà annoncé vouloir «construire, enfin, un service public de la petite enfance». Pour que tous les parents aient une solution, le gouvernement veut créer 100 000 places d’accueil supplémentaires en crèche d’ici 2027, avec l’objectif d’en ouvrir deux fois plus pour 2030. L’exécutif veut aussi mobiliser les communes. Ainsi, celles de 3 500 habitants deviendront des «autorités organisatrices» de l’accueil du jeune enfant. Leurs missions : recenser les besoins, informer les familles et construire l’offre. Dans toutes les villes de plus de 10 000 habitants, un guichet d’accompagnement des parents sera installé.
A la suite des annonces d’Elisabeth Borne, mardi 6 juin, des travailleuses de la petite enfance se sont réunies près du ministère des Solidarités. Parmi elles, Carole Halbutier, de la CGT-petite enfance, pour qui ces objectifs sont «irréalisables» au vu des «10 000 professionnels qui manquent déjà». Un avis partagé par Emilie Philippe, membre du collectif Pas de bébé à la consigne : «Nos métiers ne sont pas du tout attractifs car les conditions de travail sont difficiles et les salaires trop bas, il faut améliorer ça avant de penser à ouvrir des places.»
Handicap : améliorer l’insertion en milieu ordinaire
Le projet de loi concerne aussi les personnes handicapées. Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée chargée des Personnes handicapées souhaite «faire en sorte que les personnes en situation de handicap participent au plein emploi». Le texte prévoit de les orienter vers des postes en milieu ordinaire plutôt que de les flécher d’emblée vers des dispositifs adaptés. Ainsi, les maisons départementales des personnes handicapées ne pourront plus orienter les personnes vers des établissements et services d’aide par le travail (Esat) sans préconisation de France Travail. Autre objectif : aligner les droits des travailleurs des Esat sur ceux des salariés ordinaires.
Des mesures jugées «encourageantes» par Carole Saleres, conseillère emploi, travail, formation et ressources à APF France Handicap. Elle attend cependant de voir les moyens qui y seront accordés. «Aller chercher les personnes handicapées éloignées de l’emploi c’est bien, mais ce sera très coûteux, prédit-elle. La plupart sont âgées et handicapées car elles ont exercé des métiers pénibles pendant des années et ne peuvent plus se réinsérer. C’est aussi pour ça que les gens se mobilisent contre la réforme des retraites.» Pas sûr que la page soit aussi facile à tourner que ne l’espère le gouvernement.
Mise à jour : mercredi, à 18 h 35, avec l’ajout des prises de parole des ministres après la présentation du texte en conseil des ministres.