Cabale ou scandale ? Au lendemain de l’une des nuits les plus froides de l’hiver, nombre d’internautes proches de la droite et de la macronie se sont déchaînés mercredi 17 janvier sur les réseaux sociaux contre cinq députés insoumis – dont Mathilde Panot, Caroline Fiat et William Martinet – et trois députés écologistes – Sandrine Rousseau, Hubert Julien-Laferrière et Marie-Charlotte Garin. Leur tort ? Avoir passé une nuit sous une tente dans un campement de familles sans abri, installé par l’association Droit au logement (DAL) à proximité du métro Solférino, dans le VIIe arrondissement de Paris.
🔴 Ce soir, plusieurs députés LFI et EELV vont passer la nuit à la rue dans le 7e arrondissement de Paris, pour aider à la visibilité des personnes sans-abris.@sandrousseau @MathildePanot @CarolineFiat54 @MC_Garin @hub_laferriere @WilliamMartinet entre autres.
— Le Média (@LeMediaTV) January 16, 2024
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Sur les réseaux sociaux, des internautes estiment que les parlementaires se mettent en scène auprès des plus précaires en dormant dans des tentes abritées, sous un barnum fermé, installé selon eux pour l’occasion. Le compte officiel des JAM, les Jeunes avec Macron, a également partagé des photos montrant la présidente du groupe LFI à l’Assemblée, Mathilde Panot, son collègue du Nord, Ugo Bernalicis, et d’autres députés attablés au sein de la brasserie du VIIe arrondissement Le Solférino : «Avant ce petit coup de com sur le dos des plus précaires, un petit tour dans une brasserie très chic du VIIe arrondissement de Paris», ont-ils critiqué.
🤥 Avant ce petit coup de com sur le dos des plus précaires, un petit tour dans une brasserie très chic du 7ème arrondissement de Paris ! #UgoAuRestau https://t.co/SNefZId7sw pic.twitter.com/cMldeRjYnk
— Les Jeunes avec Macron (@JeunesMacron) January 16, 2024
L’action des députés de gauche intervenait après l’annonce mardi par la présidente du groupe insoumis à l’Assemblée nationale, Mathilde Panot, de son dépôt de plainte devant la Cour de justice de la République contre l’ex-gouvernement Borne, pour «non-assistance à personne en danger et mise en danger de la vie d’autrui». L’élue LFI du Val-de-Marne ciblait notamment la «gestion du risque particulier qui pèse sur les personnes sans abri» dans un contexte de grand froid.
«Le barnum, c’est notre petit salon»
Tout d’abord, comme le précise un reportage sur place de Libération le 5 janvier, les 38 familles de sans-abri et de «prioritaires Dalo» (droit au logement opposable), en attente d’un relogement et hébergées dans ce campement d’urgence du VIIe arrondissement depuis le 25 décembre, dorment d’ores et déjà sous des tentes abritées sous le barnum.
Le porte-parole et fondateur de l’association DAL, Jean-Baptiste Eyraud, confirme à nouveau mercredi auprès de Libé : «Le barnum, c’est notre petit salon, il nous protège de la pluie. On se relaie, on dort sous les tentes, parce qu’il fait froid. Moi, j’invite aussi les jeunes de Renaissance à dormir sous la tente, sous la pluie, à -1 °C.» La «double tente» n’a donc pas spécifiquement été installée pour la venue des parlementaires de gauche. En outre, selon les déclarations de plusieurs participants, du responsable du DAL, et les photos, les élus ont dormi en binômes, afin d’occuper le moins d’espace possible sous le barnum et de ne pas prendre la place des personnes déjà hébergées dans ce lieu.
Selon Jean-Baptiste Eyraud, les députés auraient également laissé à l’association les sacs de couchage et les matelas pneumatiques qu’ils avaient apportés.
L’association à l’initiative
Par ailleurs, l’initiative de cet événement n’est pas du fait des députés, mais de l’association elle-même. Si le député LFI des Yvelines William Martinet a été le premier à annoncer publiquement qu’il allait dormir «quelques nuits sous une tente rue Solférino», en «solidarité» avec les sans-abri, cette déclaration fait suite à un échange avec Jean-Baptiste Eyraud. Qui explique : «William Martinet est venu nous voir il y a une dizaine de jours, et je lui ai proposé de venir dormir s’il voulait vraiment nous soutenir.» Pour les députés écologistes aussi, Jean-Baptiste Eyraud assure que c’est l’association «qui a fait le boulot» afin de les contacter et les convaincre de passer la nuit sous les tentes.
Joint par Libération, le député du Nord Ugo Bernalicis – présent sur les photos pointées du doigt par les macronistes mais qui n’a pas passé la nuit sous une des tentes – assume une stratégie conjointe de communication : «On ne l’a pas fait en hypocrisie, on ne l’a pas fait pour vivre une expérience immersive, pour se vivre pauvre à la place des pauvres, mais pour attirer la focale médiatique.»
Des cafés à 1,50 euro
Concernant la brasserie Le Solférino, les députés affirment que c’est surtout sa localisation qui les y a menés. Elle se situe en face du campement de l’association DAL, installé au croisement de la rue Jacques Bainville et du Boulevard Saint-Germain. Jean-Baptiste Eyraud confirme : «C’est le café en face !» Plus exactement de l’autre côté du boulevard. «Le café est à 1,50 euro, on y va souvent» avec d’autres membres de l’association, enchaîne-t-il.
Ugo Bernalicis confirme avoir mangé au sein de la brasserie, mais évoque les «mêmes tarifs que dans les autres brasseries du VIIe, pas dispendieux [22 euros le burger tout de même, ndlr]». Selon le député insoumis du Nord, «ce qui aurait été hypocrite, c’est de se cacher deux rues plus loin, là, c’est strictement sur le trottoir d’en face».
La députée de Paris Sandrine Rousseau assure, elle, ne pas y avoir mangé, comme la plupart des autres parlementaires ayant dormi sur place – et qui ne sont d’ailleurs pas visibles sur les photos des JAM. «Si vous voulez tout savoir, à un moment on est allé dans la brasserie parce qu’on avait les pieds glacés, on a commandé des boissons chaudes, mais comme il n’y avait pas de toilettes publiques à proximité, j’y ai à peine touché, de peur d’être incommodée dans la nuit.»
Les députés seraient ensuite retournés sous les tentes : «Ils ont bu avec nous la soupe de La Chorba [une association qui distribue des repas aux sans-abri, ndlr], et on s’est partagé la galette des rois achetée au boulanger d’en face», se remémore le responsable du DAL.
Message politique
«Les personnes qui ont pris les photos [des députés à la brasserie Le Solférino, ndlr] n’ont pas pris cinq minutes pour traverser la rue et s’enquérir du sort des sans-abri, ça c’est hypocrite et cynique», grince Ugo Bernalicis. Pour Mathilde Panot, «des gens meurent dans la rue, et ce qui intéresse les macronistes, c’est de savoir où on boit un café».
Dans un contexte de mobilisation de la gauche pour la réquisition des bâtiments privés vides, Sandrine Rousseau pointe par ailleurs le fait que le barnum de l’association DAL se situe au pied d’un grand immeuble «bourgeois et totalement vide» («au minimum» à 80 %, nuance Jean-Baptiste Eyraud). Et la députée écologiste de résumer cette polémique : «C’est l’hallu ! On a 300 000 SDF, 3 000 enfants à la rue. Et Macron n’a pas dit un mot du mal-logement dans ses vœux.» Ni dans sa conférence de presse, mardi 16 janvier au soir.