Relativement discret depuis sa prise de fonction le 10 septembre, Sébastien Lecornu, attelé à préparer son épineux budget 2026, s’exprime dans une interview publiée ce vendredi 26 septembre par le Parisien - malgré la grève dans le journal. Mais en dépit de la longueur de l’entretien, le nouveau Premier ministre n’esquisse que quelques pistes, entrouvrant prudemment des portes et se gardant bien d’en fermer de trop nombreuses autres. Libé tente de faire le point sur une interview floue.
La formation du gouvernement
Le chef du gouvernement affirme qu’il nommera sa future équipe «avant le début des travaux parlementaires». Problème : la date n’est pas claire. Est-ce le mercredi 1er octobre, ouverture de la session ordinaire de l’Assemblée nationale ? Mais ce jour-là, les députés se contenteront de désigner les membres du bureau de la chambre basse. Les vrais débats législatifs, eux, reprendront plus tard, le lundi 6 octobre. Entre-temps, aura lieu une nouvelle journée de mobilisation intersyndicale, jeudi 2 octobre. Ce qui laisserait donc la fenêtre du week-end du 4-5 octobre. Contacté par Libération, l’entourage du Premier ministre se garde bien d’évoquer une date précise.
Une chose semble quasi sûre : Sébastien Lecronu devrait établir au moins un record : celui du Premier ministre qui aura mis le plus de temps à former son gouvernement.
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Quant à la composition précise de son gouvernement, le locataire de Matignon se contente ce vendredi d’affirmer «y travaill [er] avec le président de la République. […] Je souhaite continuer à travailler le projet de budget. Les ministres qui veulent rentrer au gouvernement vont devoir l’endosser. C’est le «quoi» avant le «qui», justifie Lecornu. Il semble aussi exclure toute volonté de «débauchage» de personnalités issues du Parti socialiste, car les futurs ministres devront «partager les grandes orientations du socle commun».
Le budget 2026
«Il y a des attentes sociales fortes dans notre pays, il est donc hors de question de préparer un budget d’austérité et de régression sociale», assure Sébastien Lecornu dans le Parisien, en ajoutant qu’il «repart d’une feuille blanche» après le projet de François Bayrou. Il entend ainsi tenir compte de ses consultations avec les forces syndicales et politiques. «Je présenterai un projet robuste aux alentours de 4,7 % (de déficit)», au lieu de 4,6 % comme le prévoyait son prédécesseur François Bayrou, ajoute le Premier ministre, «compte tenu du fait que j’ai décidé de ne pas imposer aux Français de renoncer à deux jours fériés sans être rémunérés. C’est pleinement compatible avec l’objectif de 3 % en 2029», qui reste inchangé.
Il envisage par ailleurs dans ce projet de budget de réduire de 6 milliards d’euros le «train de vie» de l’Etat «qui doit donner l’exemple», une «meilleure maîtrise des dépenses sociales et des collectivités territoriales», ainsi qu’un «projet de loi ambitieux de lutte contre les fraudes sociales et fiscales» qui sera présenté au Conseil des ministres en même temps que les projets de budget.
Taxe Zucman, ISF et impôts
Après avoir promis des «ruptures de fond» lors de son intronisation, l’ancien ministre des Armées se montre pour le moins timoré concernant une augmentation des impôts. «Nous avons les taux de prélèvements obligatoires les plus importants de l’OCDE. Faut-il encore augmenter les impôts globalement ? Je ne le veux pas», affirme-t-il. En l’occurrence, il n’«envisage pas» de proposer un retour de l’ISF, qui avait été supprimé en 2017. Sans pour autant que l’hypothèse d’une discussion de cette mesure au Parlement puisse être exclue, tant Sébastien Lecornu renvoie à l’importance du travail des parlementaires tout au long de son entretien au Parisien.
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Dans la lignée de nombreuses prises position à droite et en faveur du patronat, le Premier ministre affirme par ailleurs qu’il ne «croit pas» que la taxe Zucman sur les hauts patrimoines soit la «bonne réponse», parce qu’elle va «taxer le patrimoine professionnel» et que «nous avons besoin de capitaux français pour défendre notre souveraineté économique». «Je ferai donc une proposition de budget dans laquelle certains impôts augmenteront, mais d’autres diminueront», précise-t-il.
La réforme des retraites
Interrogé sur la réforme des retraites, le locataire de Matignon se prononce contre sa suspension, une option qui «ne réglerait aucun des problèmes» que sont pour lui la situation des femmes et la pénibilité au travail. Le nouveau Premier ministre considère cependant que la «réforme Borne» n’est pas «achevée» mais estime que «personne ne veut d’un nouveau conclave sur les retraites».
Le locataire de Matignon dit également vouloir s’«atteler en priorité avec les partenaires sociaux» aux «abus» sur les «ruptures conventionnelles» et précise vouloir «faire confiance au dialogue social».
La condamnation de Nicolas Sarkozy
Ancien membre du parti Les Républicains, où il a notamment siégé au bureau national, avant de rallier Emmanuel Macron en 2017, Sébastien Lecornu a exprimé son «amitié pour l’homme et sa famille» après la condamnation de Nicolas Sarkozy à cinq ans de prison avec effet immédiat, dans l’affaire du financement libyen de sa campagne de 2007. «Je n’oublie pas ce qu’il a fait et donné pour notre pays», ajoute-t-il au sujet de l’ancien président déjà condamné dans l’affaire des écoutes, dite aussi «affaire Bismuth», et qui est dans l’attente d’une décision pour l’affaire Bygmalion.
Les réactions
Après le refus du Premier ministre de suspendre la réforme des retraites et l’absence de propositions claires sur la justice fiscale, le numéro deux de la CFDT, Yvan Ricordeau, a estimé que pour son organisation «le compte n’y est pas». «Ce qu’on comprend, c’est que, pour l’instant, Sébastien Lecornu reprendrait la mesure femme», qu’il y a «une petite ouverture sur la question de la pénibilité et une fermeture sur la question de la suspension», a relevé le responsable du syndicat réformiste auprès de l’AFP. Sur la justice fiscale, «ce qu’on attend, c’est des propositions qui expliquent comment on taxe les plus riches, les hauts patrimoines et les successeurs» et «il n’y a pas la réponse», a-t-il regretté.
A l’inverse, le président du syndicat patronal Medef, Patrick Martin, s’est réjoui de «la priorité» que semble accorder Sébastien Lecornu à la réduction des dépenses publiques. Le patron des patrons souligne cependant «les inconnues» qui demeurent pour le projet de budget et «invite le Premier ministre et le Parlement à prendre en compte la situation économique» dans les décisions à venir, sous-entendant qu’il redoute une hausse de la fiscalité sur les entreprises.
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De son côté, Jean-Luc Mélenchon a appelé la gauche, et notamment les socialistes, à voter la motion de censure que LFI entend déposer à la reprise de la session parlementaire. «Les nigauds sont servis : Lecornu fait du Macron. Ni plus ni moins. Au moins c’est franc. Il est temps pour la gauche de l’hémicycle de rallier la censure insoumise», a écrit le fondateur de LFI sur X, en raillant la volonté des socialistes d’avoir voulu discuter avec le nouveau Premier ministre.
«Si on devait aujourd’hui se poser la question de savoir si l’on censure ou pas […] nous censurerions parce qu’aucun effort n’a été réalisé», s’est pour sa part agacé sur TF1 le chef du PS, Olivier Faure après l’interview du chef du gouvernement.
Mise à jour : à 20 h 23, avec l’ajout de la réaction d’Olivier Faure.