Nationalité et Etat calédonien, inscription de l’identité corse dans la Constitution, transferts de certaines compétences de Paris vers les deux territoires insulaires. La question du statut administratif particulier accordé à certains territoires revient régulièrement à l’agenda politique. «Ces modèles sont arrivés à la fin du XXe siècle, précise Benjamin Morel, maître de Conférences en droit public à l’université de Paris-Panthéon-Assas. Ils sont les produits, d’un côté, d’un arrangement entre l’Etat central et des élus locaux et, de l’autre côté, de revendications identitaires». Cette politique de différenciation vise à adapter l’action publique aux spécificités géographique, historique, ou socioculturelle locales. En outre-mer, la Guyane, Mayotte et la Martinique sont également administrées en dehors d’un traditionnel quatuor «communes, intercommunalités, départements et régions». Mais quels sont les territoires métropolitains concernés par cette «différenciation» que les dernières lois de décentralisation ont encouragée ?
La Métropole de Lyon : fusionner 58 communes pour devenir un petit département
Créée en 2014 par la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (Maptam) et entrée en vigueur le 1er janvier 2015, la Métropole de Lyon est issue de la fusion du département du Rhône et de la Communauté urbaine de Lyon, soit 58 communes. D’après le service communication de la Métropole, «l’Etat a laissé se concrétiser une volonté politique locale», celle du puissant maire de Lyon de l’époque, Gérard Collomb, en poste de 2001 à 2017 et président de la Métropole de 2015 à 2017. «Il fallait permettre à l’ancienne Communauté Urbaine de Lyon d’exercer l’ensemble des compétences nécessaires à son développement, et de réunir deux niveaux d’administration pour rationaliser les services, optimiser les structures et les frais de fonctionnement sans porter atteinte aux services à la population», explique-t-on à la Métropole.
Qui dit fusion, dit davantage de compétences. Lyon exerce à la fois celles d’un département (action sociale, gestion des collèges, routes départementales …) et d’une métropole (développement économique, transports urbains, habitat…). Une innovation politique et une bonne bouffée d’air économique pour le département du Rhône, alors endetté à hauteur de 425 millions d’euros. «En fusionnant, ils se sont rendu compte que la dette pouvait être répartie entre la nouvelle métropole et le département, avec plus de moyens pour la contrer. Ce qui a été très efficace», observe Géraldine Chavrier, professeure de droit public à l’université de la Sorbonne.
La Ville de Paris : double casquette communale et départementale
La capitale française est aussi, sur le plan administratif, celle de la complexité. Et son statut est particulier à bien des titres. «Avant, c’était à la fois une ville et un département. Maintenant, c’est mixte. Ce n’est ni l’un ni l’autre. Ou tout à la fois», précise Géraldine Chavrier. Depuis la loi du 28 février 2017, relative au statut de Paris et à l’aménagement métropolitain, la Ville de Paris possède la double casquette de commune et de département. Ainsi, les affaires liées à cette collectivité au statut unique sont réglées par le Conseil de Paris, assemblée présidée par la maire Anne Hidalgo et composée de 163 membres. Depuis 2019, il exerce donc à la fois le rôle de Conseil municipal et départemental.
Cette année-là, la loi a modifié par la même occasion la répartition des compétences entre la collectivité et l’Etat, permettant à la maire parisienne d’exercer des compétences de proximité, parmi lesquelles la réglementation des manifestations (festives) sur la voie publique ou la délivrance des cartes d’identité et des passeports. Le statut particulier parisien s’explique aussi par la démographie de la ville (2,1 millions d’habitants) et par une méfiance historique vis-à-vis du pouvoir central après les révolutions et révoltes des siècles passés. D’où l’absence de maire après la Commune de 1871 et jusqu’en… 1977 et l’élection de Jacques Chirac.
L’Alsace : la fusion de département pour redevenir région ?
Englobée dans la région Grand Est en 2016 après le passage de 22 à 13 régions en métropole, l’Alsace tente depuis de retrouver son statut d’antan avec plus d’autonomie institutionnelle, une bataille menée par de nombreux élus locaux depuis des décennies dans cette ex-région à l’histoire particulière. Depuis la loi du 2 août 2019, les départements du Haut et du Bas-Rhin sont ainsi unifiés au sein de la Collectivité Européenne d’Alsace (CEA). Cette dernière gère, en plus des compétences habituelles des départements, l’organisation de la coopération transfrontalière avec l’Allemagne et la Suisse, la promotion du bilinguisme avec la mise en place d’enseignement facultatif de langues et de cultures régionales.
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Mais les avancées ne sont pas suffisantes pour les élus qui souhaitent retrouver leurs compétences régionales perdues en 2016. «Nous voulons simplement un ajustement législatif, décrit Frédéric Bierry, président (Les Républicains) du conseil départemental d’Alsace qui administre la CEA. Nous souhaitons agir dans le bon périmètre, car celui de la Région Grand Est ne correspond pas à la réalité de la vie de nos concitoyens.» Selon un sondage de l’IFOP publié en mai dernier, 72 % des Alsaciens seraient ainsi favorables à sortie de l’Alsace de la Région Grand Est. Le président assure que le projet de région Alsacienne permettrait de gagner «en simplification administrative, technique, et démocratique». Mais aussi de faire des économies. «En fusionnant les conseils départements du Haut et Bas-Rhin, nous avons fait 12 millions d’économies sur des démarches administratives. Et elles pourraient être encore plus importantes à l’avenir», conclu l’ancien maire de Schirmeck.
Pour l’heure, l’Etat et le reste de la région Grand-Est refusent d’accorder à l’Alsace une plus grande autonomie. Ce que déplore Frédéric Bierry, qui pointe aussi un manque d’expression identitaire chez ses administrés. «Les élus corses me disent qu’ils obtiennent plus de garanties par la menace que par la démocratie, relate le président du conseil départemental. Et nous, en Alsace, on n’est pas capables d’avancer. Les Alsaciens sont peut-être trop gentils, trop légitimistes.»
Vers une France plus «fédérale» ?
En 2022, Emmanuel Macron disait vouloir lancer – comme beaucoup de ses prédécesseurs – un «nouveau chapitre de la décentralisation». L’année suivante, il la souhaitait «réelle et audacieuse» et, en 2024, il ouvrait carrément la porte à la suppression des grandes régions. Sur le champ territorial, les promesses du chef de l’Etat se multiplient, mais sans grands changements législatifs. Le ministre chargé de la Décentralisation, François Rebsamen se fait d’ailleurs très discret même si d’autres territoires français peuvent être eux aussi tentés par plus de «différenciation».
«Le mythe français de l’égalité une et indivisible ne résiste pas à la diversité des contrées, observe Romain Pasquier, directeur de recherche au CNRS et spécialiste des questions de gouvernance territoriale en France. Je pense que la dynamique de différenciation va continuer dans les prochaines années. Lorsqu’un territoire a l’impression qu’il peut mieux gérer que Paris certaines compétences, il a tendance à se dire qu’il est préférable d’être seul dans le bateau.» De nouvelles collectivités, en Bretagne ou au Pays basque pourraient alors prétendre à un statut privilégié à l’avenir. Et les velléités existent. En mai dernier, et après neuf ans d’absence, la plateforme citoyenne Batera, créée en 2002, et composée de 110 associations et syndicats a été refondée. Son objectif est d’obtenir la création d’une collectivité territoriale à statut particulier en lieu et place de la Communauté d’Agglomération du Pays basque, fondée en 2017. Ses membres ont en ligne de mire les échéances politiques des années à venir pour remettre la question du statut administratif de la région sur la table de Paris.
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«Aujourd’hui, le gouvernement essaie de créer un droit à la différenciation qui s’adapte à l’ensemble de territoires, tempère Géraldine Chavrier. En donnant plus de souplesse, il évite les débats sur les statuts particuliers, le rendant moins nécessaire». Car une crainte existe autour d’une gestion «à la carte» des territoires. «Il y a un vrai danger de blocage si l’on se met à accorder de l’autonomie à tour de bras», prévient Benjamin Morel. «Je ne peux pas entendre que ce soit le moment pour certains, mais pas pour nous», réagit Frédéric Bierry en référence aux évolutions en Corse. Ainsi, les Bretons se renseignent sur le statut alsacien, les Alsaciens veulent être écoutés comme les Corses qui, eux, souhaitent une reconnaissance plus importante de leur statut dans la constitution. Un vrai jeu de domino.