En bon amateur de rugby, François Bayrou s’y connaît en chandelles, cet art de renvoyer le ballon au pied très haut pour s’acheter du temps, sans trop savoir comment il va retomber. Invité sur BFMTV et RMC pendant une heure et quart ce mardi 27 mai, le Premier ministre a tenté tant bien que mal de desserrer les différents étaux qui l’enserrent. Sur le mouvement des taxis, en colère contre les règles de remboursement du transport sanitaire, Bayrou garde le cap de 300 millions d’euros d’économies à partir du 1er octobre. «On peut tout à fait obtenir une situation dans laquelle on obtient les économies demandées, et même davantage», promet-il, tout en renvoyant les modalités à des discussions avec la profession, ces «hommes et ces femmes qui travaillent» et «n’ont pas bonne presse», compatit le chef du gouvernement. Ou comment remettre le problème à plus tard.
Sur le budget, les désormais fameux 40 milliards d’euros d’économies à trouver pour ramener le déficit à 4,6 % du déficit public en 2026 restent tout aussi nébuleux. «Au début du mois de juillet, je proposerai aux Français un plan de retour à l’équilibre des finances publiques sur trois ou quatre années», répète Bayrou. Il prévient : «Tout le monde va devoir faire des efforts.» Qui ? Dans une pénible partie de «ni oui ni non» avec Apolline de Malherbe, il s’ingénie à ne donner aucune précision. Les retraités et leur abattement de 10 % sur l’impôt sur le revenu ? «Je ne ciblerai pas une catégorie de Français à l’exception des autres.» En taillant dans quelles dépenses ? Il évoque un vague «rééquilibrage» des dépenses publiques et sociales. En augmentant la TVA pour financer une baisse de cotisations sur le travail ? «Je ne suis pas opposé, et même favorable, à ce qu’on cherche un financement différent de notre modèle social», esquisse-t-il. Il souhaite que les partenaires sociaux s’emparent de la discussion. La porte semble donc ouverte à une «TVA sociale», comme Emmanuel Macron l’a souhaité le 13 mai sur TF1.
Beignes
Pour ne pas sauter sur le baril de poudre de l’Assemblée, Bayrou joue l’opinion publique contre les oppositions parlementaires. «Je cherche la prise de conscience des Français, assume-t-il. J’espère qu’un nombre substantiel de Français mesureront qu’on ne peut pas continuer comme ça.» Comme si, à force de leur rabâcher que «tous les mois on dépense 10 % de plus que ce qui rentre dans les caisses», les électeurs allaient se convertir à l’austérité budgétaire. C’est le fondement de son idée baroque d’un référendum sur les finances publiques, fraîchement accueillie par Emmanuel Macron. Il n’en démord pas : «Je vous promets que je vais en parler avec lui.» Là encore, le Premier ministre s’achète du temps. A l’Assemblée, le couperet contre son budget ne tombera qu’à l’automne, à moins qu’une motion de censure spontanée ne soit soutenue d’ici là par la gauche et le Rassemblement national.
Acculé sur le budget, Bayrou sait encore distribuer quelques beignes. Emmanuel Macron s’est mis en colère contre les propositions de son gouvernement sur l’entrisme islamiste, jugées pas à la hauteur lors d’un conseil de défense le 21 mai. «C’étaient des propositions sérieuses, et je suis sûr que le président de la République le sait», le contredit le Premier ministre, évoquant des «faits inquiétants» dans le rapport de deux hauts fonctionnaires sur les Frères musulmans. Son prédécesseur et président des députés Ensemble pour la République, Gabriel Attal, en prend pour son grade avec sa proposition d’interdire le voile pour les mineures de moins de 15 ans : «Je ne sais pas ce que ça veut dire». Il s’émeut : «L’air est plutôt saturé de ce genre de surenchères.» Puis moque une «mode» qui a «du succès dans un certain nombre de cercles» : «Je n’ai pas envie de faire de l’islam un sujet de fixation de la société française.»
Flirt complotiste
Le Premier ministre cabote comme il peut. Il recadre sa porte-parole Sophie Primas et ses propos sur «la fin du macronisme», choquants pour ses alliés de Renaissance. «Je lui ai dit que ce n’était pas les déclarations les plus justes qu’on pouvait trouver», convient Bayrou. Pour autant, il assume que ses «ministres poids lourds puissent s’exprimer, car ils portent chacun une part de sensibilité du pays.» Sur la proposition de loi sur l’aide à mourir, votée ce mardi après-midi, il confie qu’il «[s]’abstiendrai[t]» s’il était député. Flirtant avec le complotisme, il évoque une «cyberattaque» visant son site internet, sur lequel il a mis en ligne les «preuves» qui selon lui le disculpent dans l’affaire Notre Dame de Betharram. «Pourquoi ne veulent-ils pas qu’on les montre ?» interroge-t-il, sans définir le «ils». Encore un mystère.