A peine six mois de mandat, pas la moindre annonce dans sa besace, mais déjà le besoin de rappeler «le cap» de son quinquennat. Emmanuel Macron s’est invité mercredi soir pour un second grand oral en deux semaines sur France 2. L’occasion de se poser en capitaine d’un navire dans la tempête, dans un pays frappé par l’inflation et inquiet de son approvisionnement en énergie cet hiver. «Nous sommes en train de traverser une crise. Des crises, même», lâche-t-il en préambule.
En baisse dans les enquêtes d’opinion, avec à peine 35 % de Français satisfaits de son action dans le dernier baromètre du Journal du dimanche, le chef de l’Etat semble soucieux de répondre au procès en déconnexion que lui a intenté l’opposition au moment des pénuries d’essence. «Ça touche nos vies. Ça touche la vie de beaucoup de compatriotes qui ont du mal», compatit Macron en évoquant les conséquences de l’inflation, allant même jusqu’à citer le pourcentage («50 %») de hausse des prix du poulet ces dernières semaines.
«La France du travail et du mérite»
Sans surprise, ni nouvelle dépense, il tente d’endosser le costume du président protecteur et raisonnable. «Protecteur» du pouvoir d’achat des Français, à qui il rappelle au passage que leur situation – avec 5,6 % d’inflation en rythme annuel – est moins délicate que les 10 % en moyenne dans le reste de la zone euro. «Un peu plus de la moitié de ce choc a été pris en charge par l’Etat», fait-il valoir en rappelant les divers boucliers tarifaires et ristournes sur les prix du carburant déjà mis en place. Raisonnable, en se disant soucieux des équilibres budgétaires. Non sans piquer à la droite la rengaine de la «France du travail et du mérite», il rappelle son opposition à l’indexation des salaires sur l’inflation : «Si je vous disais [cela] ce soir […] alors nous détruirions des centaines, des milliers d’emplois.» Revenant très rapidement sur les «méthodes musclées» de négociation de Total, il a rappelé qu’il prévoyait, dans le cadre de son Conseil national de la refondation (CNR), de mettre en place «une grande conférence sur le partage de la valeur» qui pourrait aboutir à sa proposition de campagne de «dividende salarié». «Quand on crée de la valeur, la première chose c’est d’investir, dit-il en direction des grandes entreprises sans, pour autant, annoncer de mécanisme contraignant. Ça ne marche pas si on donne trop aux actionnaires et que les travailleurs n’en voient pas la valeur.» Emmanuel Macron tente alors de convaincre que son gouvernement «fait» payer les grandes entreprises qui ont réalisé des «superprofits» durant la crise. «Ces profits, on les reprend et on vous les distribue dans les aides», ajoute-t-il, précisant très (trop ?) rapidement que cette «contribution» se fait à l’échelle européenne.
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Une nouvelle fois armé de petits graphiques pour appuyer son propos, Macron est surtout venu sur France 2 pour faire la retape de son projet de réforme des retraites. Loin de renoncer à son objectif de faire travailler les Français plus longtemps et d’une entrée en vigueur à l’été 2023, il esquisse toutefois un geste en direction de la CFDT en évoquant la possibilité de reculer progressivement l’âge légal de départ à 64 ans – et non 65 ans, comme dans son projet initial – si la mesure est accompagnée d’un allongement de la durée de cotisation de quelques trimestres. «Moi, je suis ouvert. Le tout c’est que notre modèle retombe sur ses pieds», assure-t-il. Façon de donner du grain à moudre dans les concertations menées par le gouvernement cet automne. Ouvert, mais pas trop. «Il y a une concertation, mais pas pour ne rien faire», ajoute-t-il, comme s’il souhaitait en même temps convaincre l’électorat de droite qu’il ne cède pas à l’immobilisme.
Bourre-pif pour Jean-Luc Mélenchon et la Nupes
La réforme peut-elle être votée à l’Assemblée nationale sans recourir à l’article 49.3 ? «Je souhaite que des accords soient trouvés», esquisse-t-il. Une main tendue vers Les Républicains, et quelques bourre-pifs pour Jean-Luc Mélenchon et la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), qu’il accuse sans aucune nuance de collusion avec l’extrême droite après le vote par le Rassemblement national de la motion de censure des quatre groupes de gauche lundi. «Vous pensez que nos compatriotes qui ont voté pour un député socialiste ou écologiste, ils lui ont demandé de porter une majorité avec des députés du Rassemblement national, lance-t-il dans une tentative de désolidariser l’électorat de gauche modérée de la Nupes.
Contrairement à ce qu’il avait laissé entendre à huis clos devant les dirigeants de la majorité le 28 septembre, Emmanuel Macron refuse de confirmer qu’il pourrait dissoudre l’Assemblée nationale en cas de vote d’une motion de censure. «Pourquoi voudriez-vous ce soir que je me lie les mains ?» fait-il mine de s’interroger… tout en laissant planer la menace : «II y a des instruments qui sont dans la main du président de la République», ajoute-t-il, laissant aussi entendre qu’il pourrait user du référendum : «Croyez moi, je connais la Constitution !» Macron se place dans «le camp» de ceux qui «résist [ent] dans les crises, [veulent] bâtir un pays plus fort, plus juste […] plutôt que [dans] le camp de celles et ceux qui croient dans le désordre». Il en fait son «cap», «un guide». «Ordre» contre «désordre». Exactement le clivage qu’ont fixé Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen ces dernières semaines.