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Dissension

Suspension de la réforme des retraites : la droite résignée à nez avec ses contradictions

Si Bruno Retailleau a qualifié Sébastien Lecornu d’«otage des socialistes», les députés LR prennent les annonces de l’exécutif, ce mardi 14 octobre, comme «un moindre mal» pour assurer la stabilité.

Le président de Droite républicaine, Laurent Wauquiez, à l'Assemblée le 14 octobre. (Gonzalo Fuentes/Reuters)
ParVictor Boiteau
Journaliste politique
Publié le 14/10/2025 à 20h44

Cachez cette suspension que la droite ne saurait voir… Grimpé à la tribune de l’Assemblée nationale juste après Sébastien Lecornu, mardi 14 octobre dans l’après-midi, Laurent Wauquiez a réussi le tour de force de pas prononcer une seule fois le mot «retraite». Alors que le Premier ministre venait d’annoncer une suspension de la réforme d’Elisabeth Borne, sous les applaudissements des socialistes, le chef du groupe Les Républicains (LR) pratique l’euphémisme, évoquant la nécessité de «compromis» et d’«agir pour le moindre mal». Pas un mot, chez cet anti-macroniste viscéral, contre la mesure arrachée par la gauche au Premier ministre.

La pirouette n’échappe pas à l’ex-patron de LR, Eric Ciotti, en première ligne lors du chaotique examen de la réforme en 2023. «Vous acceptez que l’on désindexe les retraites, charge dans l’hémicycle le désormais allié de Marine Le Pen. L’inverse de votre, de notre programme ! Alors soyez cohérents, censurez !» A la tribune, Wauquiez préfère lister les exigences de son camp pour l’examen du budget : baisser la dépense publique, «arrêter l’assistanat», défiscaliser les heures supplémentaires, etc. Une liste de courses bien de droite, elle, pour faire avaler une pilule XXL.

«Une décision incompréhensible»

A la tête du groupe depuis la dissolution, Wauquiez sait que le report de l’âge de départ, adopté au forceps en 2023 grâce au 49.3, divise toujours son camp. A l’époque, 19 députés LR sur 61 avaient voté la motion de censure contre le gouvernement Borne. Le député du Lot Aurélien Pradié, qui siégeait encore au sein du groupe, menait la fronde en réclamant un geste sur les carrières longues. Chez LR, toutes les pièces sont en place pour rejouer la baston.

Cette fois, la grogne vient de l’extérieur du Palais-Bourbon. A la tête du parti, Bruno Retailleau a fait de la suspension de la réforme (avec la composition de l’éphémère gouvernement Lecornu I) un motif de rupture pour claquer la porte de l’exécutif. Revenir sur la copie de Borne est «une décision incompréhensible», a-t-il fustigé après le discours du Premier ministre, repeint en «otage des socialistes». Même refrain parmi les sénateurs LR, partisans plus affirmés de la réforme de 2023, et chez des ténors du parti comme la présidente de la région Ile-de-France, Valérie Pécresse, ou celui des maires de France, David Lisnard.

D’autres, à l’image de l’ex-député Guillaume Larrivé ou du chef de la délégation LR au Parlement européen, François-Xavier Bellamy, plaident carrément pour une censure du gouvernement. «Même l’effort du compromis exige de savoir dire non quand l’essentiel est en jeu», a écrit ce dernier dans le Figaro Vox, mardi, ce qui ne peut être lu autrement que comme une critique des députés LR.

«Faut-il tout lâcher aux socialistes ?»

Ces derniers tortillent. Les pro-réformes rament à contre-courant. «C’est une concession de notre part, reconnaît l’élue de Haute-Savoie Virginie Duby-Muller. On constate que la situation est bloquée. Ce qui prime, c’est le budget.» Les plus libéraux du groupe, avocats du report de l’âge, se font une raison : le coût d’une dissolution et d’un budget adopté à l’arrache serait plus coûteux. «On pense que ne pas avoir de budget pour 2026 coûterait beaucoup plus cher», raisonne le député de la Loire Antoine Vermorel-Marques.

Leurs collègues frondeurs sous Borne font profil bas, mais déroulent le même argument de la «responsabilité» : «On n’a pas intérêt à plonger le pays dans le chaos», argue le Mosellan Fabien Di Filippo, opposé à la réforme en 2023 et qui avait voté, avec 18 de ses collègues, la motion de censure du groupe Liot contre le gouvernement Borne, manquée à neuf voix près. Adversaires déterminés du report de l’âge, d’autres ne se cachent pas de revendiquer, carrément, «une victoire politique»

Silencieux pour ne pas souffler sur les braises, Wauquiez veut garantir l’unité de son groupe, même si les fissures ne sont pas loin. En réunion de groupe dans la matinée, une députée a pris ses collègues à témoin : «Un budget, c’est important mais à quel prix ? Faut-il tout lâcher aux socialistes ?» Le vernis pourrait craquer davantage si Lecornu cédait encore plus à la gauche durant l’examen du budget. «Ce ne doit pas être l’automne de la surenchère», prévient déjà Vermorel-Marques. Quand un proche de Retailleau dramatise, à la Churchill : «On avait le choix entre le déshonneur et la guerre, on a choisi le déshonneur et on aura la guerre.»