Chaque semaine, la salle de conférences de presse de l’Assemblée nationale est le théâtre de présentation de textes de loi sur des sujets extrêmement variés : interdictions des mégabassines, de l’écriture inclusive, mise en place de l’uniforme à l’école… Ce mercredi 15 novembre, il y a été question de toilettes publiques. A quatre jours de la «journée mondiale des toilettes», le groupe La France insoumise (LFI) a décidé de s’emparer du sujet en déposant une proposition de loi visant à «garantir à tous un accès égal et gratuit» aux sanitaires. «Faire coïncider cela avec la journée mondiale des toilettes est malin», approuve le sociologue Julien Damon, enseignant à Sciences-Po et HEC, très investi sur la thématique et auteur du livre Toilettes publiques. Essai sur les commodités urbaines (1).
Avec leur texte, les insoumis veulent tout d’abord «souligner que l’accès aux toilettes est un droit qui doit être reconnu et appliqué», explique le député de Haute-Garonne François Piquemal. Car, si le sujet peut paraître secondaire aux yeux de certains, «il en va de la dignité humaine», insiste-t-on à LFI, qui évoque une thématique mêlant «santé, social, égalité femmes-hommes, droit à la ville».
«Il y a un véritable retard en France dans le déploiement des toilettes publiques. Et cela ne fait pas l’objet d’une politique publique à part entière», a regretté la députée d’Ille-et-Vilaine Mathilde Hignet en conférence de presse. «Faute de législation, le territoire est traversé par de fortes disparités», écrivent les insoumis dans leur texte de loi. «Trois quarts des 36 000 communes du pays ne possèdent pas de toilettes publiques», précise François Piquemal.
«18 infrastructures à Marseille pour presque 900 000 habitants»
Pour tenter de résorber ces fortes inégalités, le groupe LFI propose la construction de sanitaires sur tout le territoire pour atteindre le ratio d’une toilette pour 2 500 habitants. Aujourd’hui, certaines grandes villes françaises sont loin du compte. «C’est 18 infrastructures à Marseille pour presque 900 000 habitants, soit une toilette pour 48 000 habitants», pointe LFI citant un rapport de l’Académie de l’eau datant de mai 2020. Selon la même source, à Nice, Lille, Strasbourg, Toulon, Reims, la densité moyenne serait d’un sanitaire pour 5 300 habitants.
Ce manque d’équipements est particulièrement dommageable pour certaines catégories de la population en particulier, comme les personnes âgées qui peuvent souffrir d’incontinence, les sans-abri, les chauffeurs de taxi ou VTC ainsi que les livreurs à vélo. Les personnes atteintes de la maladie de Crohn ou de la rectocolite hémorragique exigent également des passages aux toilettes réguliers, sans compter les femmes qui, ne seraient-ce qu’à cause de leurs menstruations, devraient avoir accès «à des lieux d’aisance clos, facilement accessibles et gratuits, pour préserver le confort et l’intimité de chacune», expliquent les insoumis.
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Avec leur proposition de loi, LFI veut également écrire dans la loi «que l’ensemble des établissements recevant du public ne peuvent imposer aucune condition d’achat aux personnes souhaitant utiliser leurs sanitaires». «C’est important, car d’une certaine façon, ce sont les bars, cafés ou restaurants qui pallient le manque d’équipements publics», affirme François Piquemal. Mais la proposition de loi s’attaque surtout aux lieux comme les gares qui font dorénavant payer l’accès aux waters.
«C’est une excellente initiative»
«C’est une excellente initiative, applaudit le sociologue Julien Damon. Elle s’inscrit dans une suite de propositions de loi, la première, portée à l’époque par Jean Glavany, datant de 2013, qui avait été discutée à l’Assemblée sans être votée.» Sur le contenu, «il me semble judicieux et même important que pèsent sur les villes, à partir d’une certaine taille, des obligations en termes d’offre de toilettes dans l’espace public. Nous vivons dans un monde de mobilité et d’inégalités que l’absence de toilettes exacerbe. Donc vive cette proposition de loi !» s’enthousiasme le prof à Sciences-Po.
Reste maintenant à voir ce qu’il adviendra du texte, qui n’a pour l’instant été que présenté et qui n’a pas encore de créneau pour être examiné. «Rien d’inquiétant», pour les rapporteurs de la proposition de loi, car le premier enjeu était d’abord de mettre la lumière sur le sujet. D’autant que ces derniers, pour donner du poids à leur initiative, envisagent de faire en sorte qu’elle soit portée de façon transpartisane. «Lorsque j’avais commencé à travailler sur le sujet à Toulouse pendant le Covid, des gens de tout bord reconnaissaient que c’était un sujet important», se souvient François Piquemal. Avant de se reprendre : «Quand je dis de tout bord, je parle d’électeurs, pas d’élus.» Une nuance qui pourrait avoir son importance dans un hémicycle où l’on se fait rarement de cadeaux.
(1) Ed. Presses de Sciences-Po, 2023, 210 pp, 9,99 €.