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Condamnation de Marine Le Pen : toutes ces fois où le RN défendait l’exemplarité en politique

Depuis l’époque de Jean-Marie Le Pen, le parti d’extrême droite a toujours fait de la dénonciation de la corruption en politique son principal argument pour se présenter comme un recours contre «le système». Des archives qui semblent aujourd’hui particulièrement croustillantes.
Jean-Marie Le Pen lors des élections législatives de mars 1993. (Ingrid Hoffmann/GAMMA-RAPHO)
publié le 1er avril 2025 à 15h24

«Mains propres, tête haute». C’était le slogan de campagne du Front national lors des élections législatives de 1993, détourné ce mardi 1er avril en une du quotidien l’Humanité, en réaction à la condamnation lundi de Marine Le Pen à cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire, quatre ans de prison, dont deux ferme (aménagés sous forme de bracelet électronique), et une amende de 100 000 euros, dans l’affaire des emplois fictifs au Parlement européen.

Car le mouvement fondé par son père a toujours fait du «tous pourris» l’axe principal de ses attaques contre les autres partis politiques. Ce qui lui a permis de s’implanter dans des anciens bastions de gauche, comme à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), où le maire socialiste a été condamné à trois ans de prison ferme dans un large système de corruption avant que la ville ne tombe dans l’escarcelle du Rassemblement national à partir de 2014. Mais, telle une tuyauterie mal entretenue, les réseaux sociaux ont une faculté fascinante à faire remonter le passé, surtout quand il permet d’identifier des contradictions dans les discours politiques. Petite recension non exhaustive concernant le RN et la moralité dans la vie publique.

2002 Les yeux de Jean-Luc Mélenchon lancent des éclairs

C’est devenu un mème [une image virale sur internet, ndlr] assez célèbre. Sur France 3 lors d’un débat après la présidentielle de 2002, alors que Jean-Marie Le Pen s’est hissé pour la première fois au second tour, sa fille interpelle les représentants de l’UMP et du PS, en pleine campagne des législatives : «Qui a contribué à faire croire aux Français que l’intégralité des hommes politiques étaient malhonnêtes ? C’est vous ! Et c’est vous !» En ce temps-là que les moins de 25 ans ne peuvent pas connaître, le socialisme était incarné sur le plateau par… Jean-Luc Mélenchon. Qui s’énerve (ça, tout le monde peut situer) en criant : «Moi ? Moi ? Mais qu’est-ce qu’elle a celle-là ?» les yeux écarquillés par une indignation furibarde.

2004 «Tous pourris» sauf nous

Deux ans plus tard, en pleine campagne des régionales, Marine Le Pen joue à nouveau la carte de la vertu outragée. Facile : Alain Juppé vient d’être condamné à dix-huit mois de prison avec sursis et un an d’inéligibilité dans l’affaire des emplois fictifs du RPR. «Tout le monde a piqué de l’argent dans la caisse, sauf le Front national ! fait mine de s’émouvoir celle qui est alors vice-présidente du FN. Les Français n’en ont pas marre d’entendre parler des affaires, ils en ont marre qu’il y ait des affaires !» Avant d’expliquer que cet argent aurait pu être mieux employé en allant, par exemple, «aux Restos du cœur». On vous laisse imaginer tout ce que l’on pourrait financer avec les 4,4 millions d’euros évoqués lundi par le tribunal comme montant du préjudice pour lequel Marine Le Pen et d’autres figures du RN ont été condamnées.

2011-2015 «Tolérance zéro»

Alors qu’elle lance la campagne de sa première tentative dans la course à l’Elysée, Marine Le Pen présente son programme en matière de sécurité. L’occasion d’étriller vigoureusement le bilan du président sortant, Nicolas Sarkozy. «La fable du Kärcher est l’échec d’un homme, pilonne-t-elle Tant de paroles depuis neuf ans ! Tant d’inaction et tant d’échecs !». Puis elle résume l’esprit de son catalogue de mesures intitulé «tolérance zéro» : «Action-réaction-sanction immédiate dès le premier acte de délinquance.» Une formule réutilisée à gogo par la suite, notamment dans des tweets, comme celui-ci de 2015, que de nombreuses personnes s’amusent à citer depuis sa condamnation lundi.

2013 «Pourquoi ne pas rendre inéligible à vie pour emplois fictifs ?»

Nouvelle émission de télévision, nouvelle affaire : on est cette fois sur Public Sénat, en pleine tornade Cahuzac, du nom du ministre délégué au Budget de François Hollande, épinglé par Mediapart car il détient un compte en Suisse, et qui vient d’être mis en examen pour «blanchiment de fraude fiscale et blanchiment de fonds». Marine Le Pen, qui est devenue présidente du FN, a décidé de mettre du sel sur les plaies de l’exécutif. «J’ai entendu le président de la République dire : “Ce qu’il faudrait, c’est rendre inéligible à vie ceux qui ont été condamnés pour corruption et fraude fiscale.” Ah bon ? Et pourquoi pas le reste, s’interroge-t-elle. Pourquoi pas pour favoritisme, pourquoi pas pour détournement de fonds publics, pourquoi pas pour emploi fictif ?» Dans la même séquence, elle prône «l’inéligibilité à vie pour tous ceux qui ont été condamnés pour des faits commis grâce ou à l’occasion de leur mandat». Ce qui reviendrait ni plus ni moins à la condamner elle-même à l’inéligibilité à vie. Pas très sympa de la part de la Le Pen du passé envers la Le Pen du présent.

2024 La «règle numéro 1» selon Jordan Bardella

C’est connu : le très jeune patron du RN ne sait rien faire de mieux que de reformuler à l’envi la rhétorique de ses illustres prédécesseurs. Sauf que sur cette question de l’exemplarité rebattue par Le Pen père et fille, les choses deviennent de plus en plus complexes à mesure que progresse la procédure judiciaire dans l’affaire des emplois fictifs du Parlement européen. Il y a quatre petits mois, Jordan Bardella tente ainsi d’allumer un habile contrefeu sur BFMTV, tandis qu’on le questionne sur les «brebis galeuses», ces candidats présentés aux législatives l’été dernier, dont le passif était loin d’être toujours exemplaire, comme l’ont démontré les enquêtes de Libération. «Ne pas avoir de condamnation à son casier judiciaire est pour moi une règle numéro 1 lorsqu’on souhaite être parlementaire de la République», fait ainsi valoir l’eurodéputé d’extrême droite. Et «si Le Pen est condamnée ?» lui oppose-t-on. Bafouillage en règle en guise de réponse : «avec des si… il y a un appel», «l’appel vous rend plus blanc que blanc» et «l’appel ne confirmera pas puisque Le Pen est totalement innocente». Tout en confirmant quand même que oui, la «règle numéro 1» est valable pour tout le monde. C’est le moment de s’en souvenir.