Montrer qu’il est capable de serrer la vis, à moins d’une semaine d’une mauvaise nouvelle : la révision bien au-delà de 5 % du PIB du déficit public français en 2023 : les services de Bercy tablent maintenant sur 5,6%, a révélé jeudi le rapporteur du Budget au Sénat Jean-François Husson, qui a mené jeudi une mission de contrôle au ministère de l’Economie. Mercredi soir, avant une tournée en Guyane et au Brésil, Emmanuel Macron a choisi de braquer le projecteur sur cette débâcle, en convoquant à l’Elysée les chefs de la majorité et les poids lourds de son gouvernement. Façon réunion de crise au sommet pour mettre en scène une mobilisation générale sur le sujet. L’occasion d’une sorte de foire aux propositions, relatée notamment par Politico, qui donne le sentiment que l’équipe gouvernementale est un poil en panne d’idées sur la façon de gérer les dépenses de l’Etat.
«J’attends de vous que vous me fassiez des propositions concrètes», a en effet enjoint le manager Macron à ses troupes en guise d’apéritif. En cas de galère, comme une économie française dans le rouge vif, le camp présidentiel revient à ses fondamentaux : un gros brainstorming.
Multiplication des signaux d’alerte
Au menu, la recherche d’économies, qui risquent de faire l’objet d’une loi de finances rectificative d’ici à l’été et de peser sur la construction du budget 2025 à l’automne. Brusquement, il y a urgence. Il est vrai que les grandes agences de notation dégaineront leurs avis à partir de fin avril et que la moindre dégradation de la note de la France pourrait coûter des dizaines de milliards.
Les signaux d’alerte se multiplient. Après 10 milliards d’euros de crédits annulés par décret pour 2024, Bercy prévoit 20 milliards d’euros d’économies l’an prochain, tandis que la Cour des comptes en réclame carrément 50 milliards d’ici à 2027. Car le déficit public se creuse, ce qui creuse la dette : le chiffre redouté du ratio déficit sur PIB ne sera dévoilé par l’Insee que mardi, mais le Trésor estime déjà qu’il pourrait tourner autour des 5,6 %, à 0,3 point près. Nettement aggravé par rapport aux 4,8 % de 2022.
A lire aussi
Parmi les convives sommés au débotté mercredi soir – l’invitation envoyée dans l’après-midi avait pour objet «Point politique et finances publiques» – figuraient entre autres le Premier ministre Gabriel Attal, les ministres de Bercy, Bruno Le Maire (Economie et Finances) et Thomas Cazenave (Comptes publics), le secrétaire général de l’Elysée Alexis Kohler, Catherine Vautrin (Travail, Santé, Solidarités), Christophe Béchu (Transition écologique et Collectivités) ainsi que les présidents de parti et de groupes parlementaires de la majorité, dont François Bayrou et Jean-Paul Mattei pour le Modem, pour Renaissance, Stéphane Séjourné, les députés Sylvain Maillard et Jean-René Cazeneuve… Sans Edouard Philippe, en déplacement.
Chacun y est allé de ses propositions. Catherine Vautrin a proposé d’économiser sur l’assurance chômage. Sur FranceInfo jeudi, interrogé sur les solutions envisagées, Thomas Cazenave s’est surtout contenté de répéter que «les finances publiques sont l’affaire de tous, pas seulement du ministre des Finances, c’est aussi le sujet des élus locaux, des partenaires sociaux». «Aujourd’hui on regarde tout, les députés de la majorité travaillent sur un certain nombre de pistes, j’attends aussi les propositions des oppositions. Mon bureau et ma porte sont ouverts, je suis prêt à les recevoir pour recueillir leurs idées», a-t-il aussi assuré, vantant les résultats du gouvernement sur la réduction du chômage. Mais en balayant toute éventualité de toucher au tabou d’augmenter les impôts, que défendent pourtant certains dans la majorité.
Ballons d’essai, idées et railleries
De leur côté, les élus locaux s’inquiètent déjà dans le Figaro de devoir fournir 3,8 milliards d’euros d’économies sur les 10 milliards exigés par Bercy en 2023. Car les ballons d’essais et les idées fleurissent en effet dans tous les sens, depuis quelques jours. A commencer par celles de Bruno Le Maire, formulées dans son dernier bouquin paru hier, et dans son interview au Journal du dimanche de Bolloré de réduire les dépenses du modèle social français pour passer d’un «Etat-providence» à un «Etat protecteur».
A lire aussi
En réponse, Emmanuel Macron s’est contenté d’une raillerie relevée par le Canard enchaîné hier : «Il devrait en parler à celui qui est ministre de l’Economie et des Finances depuis sept ans.» Le Point relève pour sa part une autre boutade, signée cette fois de Gérald Darmanin cet été, à la nomination de Cazenave comme ministre délégué aux Comptes publics, poste qu’il a lui-même occupé : «Bon courage, car le Président n’en a rien à faire des finances publiques !» Ça va bien se passer.
Concours Lépine des impôts
Ce dîner était aussi une manière d’envoyer un message dans la majorité : stop au concours Lépine des impôts. Depuis qu’il est question de (vraiment) resserrer la ceinture des programmes ministériels, plusieurs voix, au sein de la majorité, notamment chez les alliés turbulents du Modem, plaident en effet pour augmenter les prélèvements obligatoires des «ultrariches» ou des grandes entreprises. «Nous préférons augmenter la pression sur les fraudeurs plutôt qu’augmenter les impôts sur les Français», a rétorqué Gabriel Attal mercredi matin, en se félicitant de plus de 15 milliards d’euros de mises en recouvrement pour fraude fiscale en 2023.
Se chauffant pour l’un des principaux débats du printemps, avec les élections européennes, les oppositions s’en donnent à cœur joie dans la critique du «sérieux» revendiqué par le gouvernement. «On lui avait dit “votre budget est truqué, il n’est pas sincère” […] aujourd’hui on est au pied du mur», a déploré mercredi le président du groupe LR au Sénat, Bruno Retailleau. Dans une interview aux Echos, son chef de parti, Eric Ciotti, a carrément menacé l’exécutif d’une motion de censure sur le prochain budget. «Certains disent que nous fonçons dans le mur, mais j’estime que nous l’avons déjà percuté, a-t-il affirmé. Les agences de notations vont vraisemblablement dégrader la note de la France. […] L’heure de vérité est arrivée : nous empruntons le même chemin que la Grèce.»
Sur France Inter, Marine Le Pen s’est, elle, prononcée mercredi «contre» la réduction de l’indemnisation des chômeurs, renvoyant le gouvernement à son «incompétence dans le domaine financier». A gauche, le député insoumis Adrien Quatennens (LFI) a jugé sur Europe 1 que «ces gens-là sont de piètres économistes», qui «ont creusé le déficit et la dette pour faire des cadeaux toujours aux mêmes».
MAJ à 18h56 avec la nouvelle prévision de déficit à 5,6% dévoilée par le sénateur Jean-François Husson