Comment faciliter l’accueil en France des chercheurs américains harcelés par l’administration Trump ? Le sujet, brûlant, est au cœur de la première proposition de loi de François Hollande, redevenu député. L’ancien président a déposé ce lundi 14 avril un texte qui ambitionne de créer un statut spécifique de «réfugié scientifique». Face au nombre croissant de scientifiques américains qui songent à quitter leur pays en raison des politiques menées par le président américain, «il faut ouvrir très rapidement un cadre juridique durable et simple» pour les accueillir, a expliqué François Hollande mercredi 16 avril à l’AFP. «Au même titre que les journalistes ou les opposants politiques, lorsqu’ils sont entravés, les scientifiques doivent donc nécessairement pouvoir être reconnus comme des réfugiés à part entière. Attaqués parce qu’indépendants», écrivait encore le député PS dans une tribune publiée dans Libération, vendredi 11 avril, cosignée avec Eric Berton, professeur des universités et président de l’université d’Aix-Marseille.
«Faciliter les procédures»
Le texte de loi vise à «faciliter les procédures» en «accordant [aux scientifiques américains] un statut qui serait un statut de réfugié», comme «il existe des réfugiés climatiques», détaille-t-il. «Au-delà du geste», il s’agit «de donner l’image d’un pays qui est le nôtre, un pays qui accueille ces scientifiques», notamment dans les domaines les plus concernés par «les mesures» prises par Donald Trump, comme «le climat et la santé». Il s’agit également pour la France de se positionner pour séduire les meilleurs talents. «Nous ne sommes pas les seuls à vouloir les attirer», explique François Hollande, citant la Chine «qui fait des efforts considérables pour faire revenir» de nombreux chercheurs sino-américains, mais également le Royaume-Uni ou l’Allemagne.
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Depuis le retour du milliardaire américain à la Maison Blanche, chercheurs et universités ont peur pour leur avenir, à force de voir leurs financements sabrés et leur liberté académique remise en question. Mercredi encore, le président républicain a accentué ses critiques à l’égard de Harvard menaçant de priver de subventions fédérales cette prestigieuse institution devenue la cible privilégiée de sa lutte contre les universités d’élite américaines.
Harvard «enseigne la haine et l’imbécillité», et «ne devrait plus recevoir de fonds fédéraux», a-t-il écrit, deux jours après avoir coupé 2,2 milliards de dollars de subventions fédérales pluriannuelles à l’établissement. De plus en plus de chercheurs ou d’aspirants chercheurs réfléchissent donc à quitter le pays, considéré jusqu’ici comme le paradis de la recherche dans nombre de domaines.
«Il faut le faire maintenant»
Selon un sondage publié fin mars par la revue spécialisée Nature, plus de 1 200 scientifiques sur les 1 600 interrogés, songent aujourd’hui à un tel départ. En France, le ministre chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Philippe Baptiste, a demandé début mars aux universités de réfléchir à des moyens de les accueillir. Plusieurs d’entre elles ont annoncé lancer des programmes pour financer des travaux qui ne pourraient plus être menés outre-Atlantique. Des initiatives similaires ont été prises ailleurs dans le monde.
«Ce qui peut rebuter un chercheur d’aller dans un autre pays», comme «par exemple en France», ce sont des procédures compliquées et la non-assurance de pouvoir y rester, explique François Hollande, de retour à l’Assemblée depuis les législatives anticipées de 2024. Un statut permettrait, souligne-t-il, d’accélérer l’obtention de visa, et d’obtenir la garantie de pouvoir rester suffisamment longtemps pour mener leurs travaux jusqu’à leur terme. «Il faut le faire maintenant, car c’est maintenant qu’il y a les licenciements, les fermetures de laboratoires», martèle-t-il, espérant que le gouvernement puisse reprendre sa proposition rapidement.
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En France, la loi prévoit deux formes de protection par l’asile. Le statut de réfugié et la protection subsidiaire. Cette dernière est attribuée aux étrangers qui ne remplissent pas les conditions d’obtention du statut de réfugié, mais peuvent prouver qu’ils sont notamment exposés dans leur pays à l’un des risques suivants : peine de mort, torture, traitements inhumains ou dégradants, menace grave et individuelle contre leur vie ou leur personne. La proposition de loi de François Hollande, vise à ajouter une catégorie aux bénéficiaires de cette protection : les «scientifiques et chercheurs» qui «risquent de subir une atteinte grave et individuelle à leur liberté académique».
Car si la France consacrait en 2022, selon les données de l’UNESCO, 2,3 % de son PIB à financer la recherche, les Etats-Unis étaient largement devant avec plus de 3,6 % dédiés à ce sujet. Et en Europe, Paris est bien derrière l’Allemagne, la Suisse ou encore certains pays nordiques qui consacrent, eux aussi, plus de 3 % de leur PIB à la recherche depuis 2022. Par ailleurs, en France, un chercheur de moins de 35 ans, touche environ 3 685 euros brut mensuels (primes et indemnités incluses), selon le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche. Mais à titre de comparaison, à l’université d’Harvard dans le Massachusetts, le salaire minimum des postdoctorants est de 67 600 dollars, soit, environ, 5 600 dollars brut par mois. Ainsi, un statut de réfugié scientifique ne suffira pas, selon France Hollande. L’ex-président met en garde : «s’il n’y a pas des moyens qui sont accordés dans les universités, dans les laboratoires pour que ces chercheurs puissent mener à bien avec des chercheurs français leurs travaux, ils iront ailleurs».