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Justice

Une magistrate mise en examen pour ses relations supposées avec le grand banditisme corse

L’enquête concerne des faits qui auraient été commis entre 2008 et 2022. Le ministère public estime posséder suffisamment d’éléments pour déférer la magistrate Hélène Gerhards pour 11 crimes et délits supposés.
Le palais de justice de Nice. (Lionel Urman/ABACA)
publié le 6 avril 2024 à 8h25

La chose est rarissime. Une magistrate, Hélène Gerhards, a été mise en examen et placée en détention provisoire ce samedi 6 avril en raison de ses liens avec le banditisme corse, notamment pour trafic d’influence et détournement de fonds publics. Une demande du procureur de Nice dans le cadre d’une information judiciaire pour 20 chefs d’accusations. Le ministère public estime posséder suffisamment d’éléments pour déférer l’intéressée pour 11 supposés crimes et délits.

Hélène Gerhards, en poste à la cour d’appel d’Agen (Lot-et-Garonne), est mise en cause pour ses liens supposés avec un membre présumé du banditisme corse. Agée de 49 ans, elle serait, par ailleurs, proche du ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti selon Mediapart.

Ouverte en janvier 2021, l’enquête vise des faits qui auraient été commis entre 2008 et 2022, notamment lors du passage de cette magistrate en Corse, de 2010 à 2016.

«A la lumière d’interceptions téléphoniques», il est apparu que cette magistrate, en garde à vue depuis mercredi, «paraissait dans une relation de proximité avec un individu très défavorablement connu des services de police, au sujet notamment de travaux dans une villa dont elle était occupante, située sur la rive sud d’Ajaccio», écrit le procureur, qui a requis son placement en détention provisoire. Cette «villa d’architecte» de 320 m², avec «vue mer exceptionnelle, […] à deux pas de la plage», avec «piscine et jacuzzi», pouvait être louée jusqu’à 2 260 euros la nuit pendant l’été, rapportait l’annonce de location.

«Services réciproques»

Selon des sources proches du dossier, l’individu en question est Johann Carta, mis en examen et écroué dans plusieurs enquêtes, notamment en décembre 2023 dans un dossier d’«escroquerie, extorsion de fonds et blanchiment d’argent en bande organisée» géré par la Juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Marseille. «En contacts réguliers également avec d’autres personnes connues des services de police […], la magistrate semblait entretenir une grande proximité faite notamment de services réciproques», ajoute le procureur.

«Parmi les services rendus», l’enquête a «mis en évidence que la magistrate aurait pu, outre des conseils juridiques, rechercher et communiquer des informations concernant des procédures en cours ou des données issues de fichiers», précise le procureur. Elle est ainsi accusée d’avoir utilisé sa «qualité de juge d’instruction» pour «établir de fausses ordonnances de commission d’expert et de fausses ordonnances de taxe», afin de faire bénéficier des proches de sommes indues «pour la réalisation d’expertises fictives», détaille le procureur.

Selon Mediapart, ces fausses expertises «en matière informatique et en traduction» auraient notamment bénéficié à «l’ex-conjoint» de la magistrate dont Eric Dupond-Moretti aurait été l’avocat. De même, pour ces détournements de fonds publics reposant sur ces faux, «l’identité et les comptes bancaires de jeunes filles au pair présentes au domicile auraient pu être utilisés». «Le montant global des détournements pourrait être évalué à plus de 120 000 euros», selon le communiqué du procureur de Nice.

«Opération de destruction»

Lors de ses auditions en garde à vue, la magistrate aurait «contesté d’abord toute infraction et tout manquement à ses obligations professionnelles», avant de finalement reconnaître «une consultation illicite de données au profit d’un individu défavorablement connu», selon le procureur.

Jeudi, Me Caty Richard et Me Yann Le Bras, les avocats de cette magistrate, s’étaient interrogés, dans un communiqué transmis à l’AFP, «sur un éventuel règlement de comptes au sein de la magistrature». Selon eux, leur cliente serait «victime d’une dans laquelle l’autorité judiciaire se permet tous les coups». En tout cas, cette dernière n’est pas la première magistrate ayant travaillé en Corse à être inquiétée par la justice. En octobre 2022, Danielle Sbragia, une juge bastiaise, avait été mise en examen pour «prise illégale d’intérêt».

La liste des chefs d’accusations requis contre Hélène Gerhards est particulièrement longue : faux en écriture publique par un dépositaire de l’autorité publique, usage de faux, détournement de fonds publics par une personne dépositaire de l’autorité publique, recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé en bande organisée, trafic d’influence passif et actif, association de malfaiteurs en vue de préparer un crime ou un délit puni de 10 ans d’emprisonnement et en vue de préparer des délits punis de cinq ans d’emprisonnement, blanchiment, construction sans permis, détournement de la finalité de fichiers de données personnelles et enfin complicité de violation du secret professionnel.