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Libération
«Mes chers compatriotes»

Vœux de Macron : des promesses aux petites phrases, retour sur les six éditions précédentes

A l'heure de la transition écologiquedossier
Pour la huitième fois depuis son arrivée à l’Elysée, Emmanuel Macron prononce ses traditionnels vœux aux Français ce mardi 31 décembre. «Libé» revient sur les précédentes interventions du président de la République, entre annonces tonitruantes et logorrhée grandiloquente.
Pour ses vœux du 31 décembre 2022, Emmanuel Macron a battu le record de longueur de De Gaulle, avec dix-neuf minutes d’allocution. (Romain Doucelin/Hans Lucas)
publié le 31 décembre 2023 à 12h05
(mis à jour le 31 décembre 2024 à 10h33)

Annus horribilis : l’expression s’impose pour désigner l’an 2024 vu de l’Elysée. Ouverte par la nomination de Gabriel Attal à Matignon, le 9 janvier, qui devait donner un nouvel élan au quinquennat, l’année s’achève sur un constat de débâcle pour Emmanuel Macron, après une dissolution ratée qui l’a vu dilapider son capital politique. Le «réarmement» promis lors de ses vœux du 31 décembre 2023 semble loin. Tentera-t-il de défendre malgré tout ses choix, mardi soir, pour sa huitième intervention de fin d’année depuis son élection en 2017 ? En attendant son allocution, retour sur les précédentes éditions de ce rituel présidentiel.

2017 : le long fleuve tranquille

Dix-sept minutes cinquante. Pour sa première, Macron ne fait pas les choses à moitié, tutoyant le record de longueur établi par de Gaulle lors de ses vœux pour l’année 1962 (dix-huit minutes). Filant l’analogie avec le grand Charles, le plus jeune président de la Ve République met l’accent sur les traditions, comme les prémices du président de «l’ordre, l’ordre, l’ordre», son mantra du 14-Juillet dernier. Il surprend par une posture et une mise en scène très sobres, loin de son image de startuper disrupteur soigneusement travaillée pendant la campagne présidentielle. Alors au sommet de sa popularité, le nouveau chef de l’Etat veut faire de 2018 «l’année de la cohésion de la Nation», s’affiche comme le grand rassembleur du peuple français, adresse «une pensée fraternelle» à ceux qui sont abandonnés, et va même un peu loin… Promettant un toit «à toutes celles et ceux qui sont aujourd’hui sans abri». Une promesse peu tenable et, de fait, jamais tenue, ce qui lui est toujours reproché aujourd’hui.

2018 : au plus bas, au combat

Retour sur Terre. Les gilets jaunes manifestent tous les samedis depuis trois mois, l’Elysée a envisagé l’évacuation du Président par hélico vingt-trois jours plus tôt et Macron chute en décembre 2018 sous la barre des 30 % d’opinions favorables (27 % selon Odoxa), le plus bas taux d’approbation de toute sa présidence. Le 31 au soir, apparaît à l’écran un président debout, face caméra, se voulant virulent et mêlant énergie, autorité et combativité. Si l’ex-banquier de Rothschild veut prédire la «fin» du «capitalisme ultralibéral et financier», il dénonce surtout «les porte-voix d’une foule haineuse» qui «prennent pour prétexte de parler au nom du peuple». Se montrant inflexible sur ses réformes, verticalisant et droitisant encore son discours, il ne concède pas grand-chose aux gilets jaunes, qui y verront une déclaration de guerre. «On ne peut pas travailler moins et gagner plus, baisser nos impôts et accroître nos dépenses, ne rien changer à nos habitudes et respirer un air plus pur…» assène Emmanuel Macron.

2019 : comment braquer tout le monde

De la virulence à la violence. Après avoir affiché son inflexibilité devant les demandes de démocratie et de justice fiscale des gilets jaunes, voici venu le temps pour le Président de se mettre à dos les partenaires sociaux. Pour sa troisième allocution du 31 décembre, Macron martèle un message : la première mouture de la réforme des retraites (édition Edouard Philippe) «sera menée à son terme» et le Président ne cédera «rien au pessimisme ou à l’immobilisme». «Rappelons-nous toujours que nous avons, à l’égard de la France, plus de devoirs que de droits», ajoute-t-il encore. Alors que les syndicats – et l’opinion publique – y sont radicalement opposés, Macron décide de ne leur donner aucune garantie, n’ouvre aucune porte au dialogue social et reste particulièrement flou sur le contenu de la réforme. Un discours, une méthode et une ligne très dure qui iront jusqu’à froisser la CFDT, alors plutôt favorable à la réforme.

2020 : le petit père du peuple covidé

Neuf mois que la France vit au rythme du Covid-19. Deux semaines après la fin du deuxième confinement, et alors que le couvre-feu se poursuit depuis dix semaines, Emmanuel Macron apparaît pendant dix-huit minutes (record égalé) assis dans un petit fauteuil de cuir noir, au coin du feu, dans un style un peu giscardien. Défendant mordicus son «quoi qu’il en coûte» – ne pas regarder aux dépenses publiques pour soigner et venir en aide aux Français pendant la pandémie –, il affirme que son apparent revirement en faveur de l’Etat-providence a «permis de préserver des vies et de protéger des emplois». Se donnant l’image d’un doux chef protecteur, porteur d’espoirs, proche du peuple et garant de son unité, le Président s’essaye à l’empathie paternaliste, à coups de portraits d’anonymes, des «boussoles pour les temps à venir», «qui, engagés et solidaires, ont tenu notre pays dans l’épreuve». Quatre ans plus tard, les infirmières, les éboueurs et les enseignants évoqués par Macron n’auront pas obtenu grand-chose, sinon une réforme des retraites.

2021 : après la pandémie, la campagne

Après l’espoir, l’optimisme. Cinq vagues pandémiques, un bilan de plus de 160 000 morts et un système de santé exsangue ont certes laissé le pays groggy mais, en fin d’année 2021, l’horizon semble se dégager. «Résolument optimiste», se plaçant avec emphase «du côté de la vie», Emmanuel Macron prédit que 2022 sera «l’année où nous pouvons voir l’issue de ce jour sans fin», «l’année de tous les possibles». Surtout, à cinq mois de l’élection présidentielle, le président-pas-encore-candidat défend son bilan et prépare l’avenir. Se vantant de son bilan économique, il tente de ressusciter «l’en-même-temps», demandant de continuer «à respecter nos différences», en étant «tout à la fois enracinés dans notre langue, notre culture, notre laïcité». Conscient qu’un nouveau second tour face à l’extrême droite pourrait se rejouer en mai 2022, il multiplie les gages aux électeurs de gauche sur les retraites, la contraception et l’écologie – ce qui ne l’empêchera pas de les trahir deux ans plus tard – et consolide son assise sur la droite, promettant de «lutter contre l’islamisme radical, de renforcer l’ordre, la sécurité et la tranquillité de tous, pour mieux protéger».

2022 : «qui aurait pu prédire»…

Le bal des mots creux. Pour ses sixièmes vœux aux Français, le président de la République produit une très longue synthèse de tous les sujets chauds du moment, battant cette fois le record de longueur de De Gaulle, avec dix-neuf minutes d’allocution. Face à la guerre en Ukraine, l’inflation et «l’esprit de défaite», Macron se fait le chantre de «l’engagement», quoi que cela veuille dire, et surtout du «travail». Parce que pour justifier son ultra-impopulaire réforme des retraites, il insiste : «il nous faut travailler davantage» pour «assurer l’équilibre de notre système». Entre des vœux pieux grandiloquents sur une «Europe plus forte, plus juste», «une Nation productive et écologique», des moyens augmentés pour les forces de l’ordre et la refonte des «grands services publics», Macron ne dira rien de précis. Laissant la question écologique au second plan, il ira jusqu’à affirmer «qui aurait pu prédire la crise climatique ?» après une année de records de chaleur et d’incendies ravageurs. De quoi échauffer les scientifiques qui alertent sur les conséquences catastrophiques des émissions de gaz à effet de serre sur le climat depuis un demi-siècle, et lancer une grosse polémique. Plaidant l’incompréhension, le Président persistera dans son erreur, affirmant à tort que le dérèglement climatique serait allé «encore plus vite que prévu».

2023 : l’heure des réarmements

Emmanuel Macron donne une teinte militaire à ses vœux pour l’année 2024. La poursuite de la guerre en Ukraine, l’attentat terroriste du Hamas sur Israël le 7 octobre et les bombardements de Gaza qui ont suivi – très succinctement mentionnés – lui fournissent une métaphore utilisée à tout va : celle du «réarmement», que celui-ci soit militaire, «économique» et «industriel» ou encore «civique».

Comme si le mot d’ordre ne suffisait pas, 2024 est également décrétée «l’année des fiertés». Des Jeux olympiques et paralympiques de Paris à la réouverture de Notre-Dame dont il avait alors annoncé la date, cinq ans après l’incendie «comme promis», en passant par la célébration des 80 ans du débarquement en Normandie et de la Libération, les astres semblaient alignés pour un mémorable «millésime français»

Cette année des fiertés devait faire en sorte «que la France puisse s’unir», croyait Macron, à l’heure où il possédait encore une majorité relative à l’Assemblée nationale. Le chef de l’Etat assurait ne «jamais [être] de ceux qui privilégient les calculs électoraux, les petits arrangements ou leurs intérêts personnels». Après une année 2023 marquée par l’adoption de la réforme des retraites et celle d’une loi immigration votée par le Rassemblement national, 2024 aurait-elle pu être l’année du répit ? Une défaite électorale aux européennes de juin, puis une dissolution ratée, en ont décidé autrement.