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Primaire LR: le système Solère

Cet ambitieux quadra, proche de  Bruno Le Maire et jusqu’alors peu connu, a décroché un rôle clé : s’assurer de la bonne tenue de l’élection de novembre.

Thierry Solère, le 29 janvier. (Photo Frédérique Stucin)
Publié le 01/02/2016 à 19h41

C’est un métier à haut risque : chef mécanicien de la primaire de la droite et du centre. Il est celui qui met de l’huile dans les fragiles rouages de cette complexe machine. Si ça dérape, il sait qu’on lui fera payer. Cher. Omniprésent aux micros des matinales et sur les chaînes d’information continue, dans les talk-shows de fin de soirée, le député des Hauts-de-Seine Thierry Solère aura été, en 2015, le plus interviewé des leaders de sa famille politique. Voilà un record qui en agace plus d’un chez Les Républicains (LR).

«Il sera ministre». Les agacés vont devoir prendre leur mal en patience. Car ce sera sans doute pire en 2016, année politique largement dominée par la campagne en vue de l'élection primaire des 20 et 27 novembre. En tant que président du comité d'organisation, Solère a de bonnes chances de se trouver en première ligne, pour le meilleur ou pour le pire, dans le rôle du Monsieur Loyal de la droite. Circonstance aggravante, il habite Boulogne-Billancourt, à deux pas de TF1, France Télévisions, BFM TV et i-Télé. Cela fait de lui un très bon client, susceptible d'accepter, au débotté, de faire un saut en studio après dîner.

Jeudi, après avoir enregistré son deuxième On n'est pas couché avec Ruquier, il célébrait, dans un gymnase de Boulogne, sa cérémonie des vœux accompagné d'Alain Juppé et de Bruno Le Maire. «Vous verrez, il sera ministre», glisse à Libération, d'un ton expert, un des quelque 300 invités. A la tribune, les deux poids lourds paraissent bien frêles au côté du colossal Solère, un gabarit de rugbyman. Il se paie le luxe d'excuser deux autres candidats à la primaire, Nicolas Sarkozy et François Fillon, invités eux aussi. «Ils sont occupés l'un et l'autre», explique-t-il, suggérant donc qu'il aurait très bien pu faire monter sur l'estrade un ex-chef de l'Etat et deux anciens Premiers ministres. «Je suis rond mais carré», explique à qui veut l'entendre ce quadragénaire consensuel, aussi jovial qu'ambitieux, récemment promu président du groupe Les Républicains au conseil régional d'Ile-de-France.

A elle seule, sa fulgurante ascension est une illustration de la conversion de la droite à la logique de la primaire. Elle démontre aussi, par voie de conséquence, l’affaiblissement du parti dont la «refondation» n’aura pas permis à Sarkozy de s’imposer comme le candidat naturel à la prochaine élection présidentielle. Indépendant du parti, politiquement et financièrement, le comité d’organisation et son président n’ont de comptes à rendre qu’à la haute autorité chargée de contrôler le bon fonctionnement de la primaire. Présidée par la professeure de droit constitutionnel Anne Levade, rédactrice pointilleuse de la «charte de la primaire», cette autorité est composée de juristes de haut niveau, non-membres de LR, cooptés par les candidats potentiels au scrutin des 20 et 27 novembre.

C’est à cet aréopage que Thierry Solère proposera ce mercredi, au nom du comité d’organisation, la liste des cent personnalités choisies pour préparer la primaire dans tous les départements. La tache est lourde : il s’agit de réserver les bureaux de votes (plus de 300 à Paris, plus de 200 dans les Alpes-Maritimes) et de recruter les volontaires qui seront chargés de surveiller les opérations. Au total, il faudra réserver 10 337 bureaux et mobiliser pour deux dimanches une armée de près de 60 000 militants et sympathisants. Le plus souvent maires ou parlementaires, les responsables départementaux ont été choisis parmi les grands élus. Mais Thierry Solère a exclu d’office les secrétaires départementaux de LR. Nommés par Nicolas Sarkozy, président du parti mais aussi notoirement candidat à la primaire, ils n’offrent pas, aux yeux de la haute autorité, les garanties d’impartialité suffisantes. En dépit des réserves de l’ancien chef de l’Etat sur le sujet, c’est donc bien une autorité indépendante qui a la main sur l’organisation de la primaire. Début mars, Anne Levade et Thierry Solère réuniront à Paris tous les présidents des comités d’organisation départementaux pour leur donner leur feuille de route. Un rendez-vous qui pourrait faire de l’ombre à la prochaine réunion du nouveau conseil national de LR (le Parlement du parti), renouvelé samedi dans une relative indifférence.

Le 1er décembre 2014, la nomination de Solère à la présidence du comité d'organisation avait été la première conséquence de la contre-performance de Nicolas Sarkozy lors de l'élection à la présidence de l'UMP. Alors qu'on lui promettait un score brejnevien, l'ex-chef de l'Etat avait dû se contenter, le 30 novembre 2014, de 64,5 % des suffrages. Contre toute attente, près de 30 % des adhérents du parti lui avaient préféré son jeune rival Bruno Le Maire. Le lendemain, le président élu s'était empressé d'offrir à son challenger le poste de numéro 2. «Je ne veux rien», avait répondu Le Maire. Rien d'autre que la création immédiate d'un comité indépendant chargé d'organiser la primaire. Sarkozy n'était pas emballé. Il avait d'autres priorités. L'année 2015 devait être celle de la fondation d'un «grand rassemblement», capable de transcender les vieux clivages partisans et de préparer l'alternance de 2017 sous son autorité.

Culot. Mais Bruno Le Maire avait insisté. Pour solde de tout compte, il avait donc proposé à Sarkozy la nomination de Thierry Solère. Et là, miracle, Solère a fait consensus. Sarkozy a accepté sans hésiter. Solère n'était-il pas un ami de la famille ? Elu des Hauts-de-Seine, il a été très proche de Jean Sarkozy. Il fut même, en 2009, l'un des plus zélés défenseurs de son indéfendable candidature à la présidence de l'Etablissement public pour l'aménagement de la région de la Défense (Epad). Alain Juppé et François Fillon n'avaient, eux non plus, rien contre cette nomination. Le premier apprécie ce jeune député qui se trouve être l'ami de plusieurs de ses proches : son ancien directeur adjoint à Matignon Pierre-Mathieu Duhamel et son actuel porte-parole, le député et maire du Havre Edouard Philippe. Quant à Fillon, il n'a pas oublié ce jeune militant de Boulogne-Billancourt qui avait eu le culot de faire dissidence en 2012 pour battre aux législatives le ministre de l'Intérieur Claude Guéant, parachuté par l'UMP. Un gage d'indépendance vis-à-vis de Nicolas Sarkozy.

Quand il donne satisfaction à Le Maire, Sarkozy n'imagine pas que cette primaire prendra l'importance qu'elle a aujourd'hui. Son élection à la tête du parti devait lui donner un avantage décisif. Fin 2014, il expliquait à qui voulait l'entendre qu'il était désormais «sur l'autoroute» et que ceux qui n'avaient pas su le freiner quand il était «sur la bretelle» pouvaient faire le deuil de leurs ambitions. Un an plus tard, embourbé sur l'autoroute, Sarkozy compte sur son son livre pour repartir de l'avant. Comme tous les candidats à la primaire, il s'est fait représenter au «groupe Solère» par deux de ses proches, Brice Hortefeux et Luc Chatel, qui n'ont pas été particulièrement assidus. Se jugeant maltraité et méprisé, le «petit» candidat Hervé Mariton a mis en doute l'impartialité du lemairiste Solère. «Je ne suis pas un juge impartial, je suis un homme politique. J'ai donc des préférences. Comme tous les membres du comité d'organisation. C'est pourquoi nous avons au-dessus de nous une haute autorité indépendante», répète Thierry Solère inlassablement.

Solère tient à rendre justice à l'ancien chef de l'Etat qui n'a, assure-t-il, «rien fait pour empêcher l'organisation d'un primaire irréprochable». Tout juste reconnaît-il que les choses ont un peu traîné quand il s'est agi d'avancer à la haute autorité les 5 millions d'euros qui lui permettent de préparer l'élection. «Qui paie décide», rappelle souvent Sarkozy. Thierry Solère aura pesé de tout son poids pour que celui qui décide ne soit pas le chef de LR.