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Primaire

La droite en désordre de marche

Quasiment tous les prétendants Les Républicains sont en piste pour l’élection des 20 et 27 novembre. Que révèle la profusion de candidats et à qui profite-t-elle ?

Nathalie Kosciusko-Morizet, lors du meeting de Nicolas Sarkozy à Bordeaux, le 22 novembre 2014. (Photo Jean-Pierre Muller. AFP)
Publié le 11/03/2016 à 20h01

Tous en scène. Juppé à Antibes et Sarkozy à Lyon, Fillon à Marseille, Le Maire à Lille et Nathalie Kosciusko-Morizet à Paris : en cette fin de semaine, ils étaient tous de sortie dans des usines ou des start-up, devant leurs sympathisants ou au café du coin. La longue campagne pour l’élection - qui se tiendra les 20 et 27 novembre - du futur candidat de la droite et du centre pour la prochaine présidentielle est bel et bien lancée.

Et tandis que les candidats s’égayent sur le terrain et dans les médias, la Haute Autorité de la primaire plante le décor et fixe les règles du jeu. La présidente de cette autorité indépendante, la juriste Anne Levade, et le président du comité d’organisation, le député LR Thierry Solère, réunissaient jeudi à Paris, pour la première fois, tous les responsables des comités départementaux chargés de la préparation des scrutins. Plus de trois millions d’électeurs sont attendus dans les 10 000 bureaux de votes qui seront ouverts pour cette primaire.

Quant à la liste définitive des candidats, elle ne sera arrêtée par la Haute Autorité qu’après le 9 septembre, date limite de dépôt des candidatures. Pour être sur la ligne de départ, les prétendants devront pouvoir se prévaloir du parrainage d’au moins 2 500 adhérents du parti Les Républicains ainsi que de 250 élus, dont 20 parlementaires, répartis sur au moins 30 départements. Combien seront-ils à remplir ces conditions ? Certainement beaucoup moins que ne le laissent supposer les très nombreuses déclarations de candidature des dernières semaines.

«Ce n'est plus une primaire, c'est une équipe de foot», ironisait mi-février le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, après l'entrée en lice de Jean-François Copé. Outre Nathalie Kosciusko-Morizet, sur les rangs depuis le 9 mars, la liste des petits candidats s'allonge chaque semaine. Les députés LR Hervé Mariton, Frédéric Lefebvre et Jean-Frédéric Poisson se sont eux aussi déclarés, tout comme l'eurodéputée Nadine Morano, en attendant, peut-être, Michèle Alliot-Marie ou même Henri Guaino. Et la liste n'est évidemment pas exhaustive.

A qui profite cette inflation ? «A Sarkozy !» assurent évidemment les partisans de l'ancien chef de l'Etat, toujours prompt à se trouver de nouvelles raisons d'espérer tandis que leur champion piétine dans les sondages. «C'est excellent. Cette profusion confirme que la primaire enclenche une dynamique de division. Face à ça, Sarkozy apparaît comme le rassembleur, le seul vrai pôle de stabilité», explique un parlementaire LR. Poursuivant sa démonstration, le même ajoute que tout cela serait en revanche «très mauvais» pour le maire de Bordeaux : «S'ils sont une dizaine à prétendre aller à la présidentielle, c'est bien la preuve que Juppé est loin de faire l'unanimité.» Dans le camp Juppé, on fait juste remarquer que ce fragile argumentaire peut aussi bien se retourner. La multiplication des candidats ne donne-t-elle la mesure de la défiance envers l'ancien chef de l'Etat dans sa propre famille politique ? S'il croit vraiment que la dispersion fait ses affaires, le camp Sarkozy pourrait être tenté de faciliter certaines candidatures. Par exemple, celle de Michèle Alliot-Marie, ex-ministre démissionnée qui poursuit d'une rancune tenace Alain Juppé, son successeur aux Affaires étrangères.

Pour apparaître comme le protecteur d’une unité menacée par le débordement des ambitions concurrentes, Sarkozy n’a pas écouté ceux qui le pressaient d’officialiser sa candidature à la primaire. Jusqu’à l’été, il restera donc président de LR, cultivant la posture du chef de famille désintéressé, occupé à bâtir le projet d’alternance qui sera validé, en juin, par l’ensemble des militants LR.

Cumul des mandats: querelle sur sa restauration

La question du cumul des mandats et des investitures aux législatives de juin 2017 est la cause de fortes tensions entre les présidentiables de droite. Mardi, lors du bureau politique du parti LR, Nicolas Sarkozy a souhaité que les candidats à la députation soient désignés avant l'été. Alain Juppé, lui, estimait qu'il fallait laisser passer la primaire afin que les arbitrages concernant l'éventuelle majorité présidentielle soient rendus fin 2016 sous l'autorité du potentiel chef de l'Etat. Les deux camps se disent prêts à négocier un compromis lors du prochain bureau politique, le 22 mars : les investitures seraient validées dès juin partout où le candidat fait consensus. Elles seraient reportées après la primaire dans toutes les circonscriptions «problématiques» où plusieurs prétendants sont en compétition. Juppé a prévenu : si Sarkozy tente de passer en force, les décisions prises avant la primaire ne l'engageront pas.

Cette dispute a mis en évidence un autre clivage, lourd de conséquences, sur l'interdiction de cumul des mandats. Pour Sarkozy et ses alliés, Christian Jacob et François Baroin, la droite devra abroger cette loi socialiste dès qu'elle aura repris le pouvoir. Si possible avec effet immédiat. Avec cette promesse, l'ex-président espère s'attirer les bonnes grâces des parlementaires de droite, majoritairement favorables au cumul. Dans le camp Juppé, même les pro-cumul jugent «impossible» ce retour en arrière : les électeurs ne comprendraient pas que la nouvelle majorité consacre sa première réforme au rétablissement de ce qui leur apparaît comme un privilège.

Parrainages: petits calculs entre ennemis

Parmi la dizaine de candidats, seulement quatre - Sarkozy, Fillon, Juppé et Le Maire - sont vraiment assurés de réunir les parrainages nécessaires pour participer aux scrutins des 20 et 27 novembre. Les autres ne sont pour l’heure que des candidats virtuels, engagés dans la bataille pour leur qualification. Pour écarter autant que possible les candidatures fantaisistes, «la primaire de l’alternance» a placé la barre très haut : elle impose 250 parrainages d’élus dont 20 parlementaires, là où «la primaire citoyenne» de la gauche n’en exigeait, en 2011, qu’une centaine. Dans ces conditions, la bataille sera très rude pour les petits candidats, à l’exception de Jean-Frédéric Poisson qui devrait pouvoir bénéficier d’un ticket d’entrée privilégié en tant que membre du petit Parti chrétien-démocrate.

D’ici aux vacances d’été, les quelque 400 parlementaires de la droite et du centre (sénateurs, députés et eurodéputés LR et UDI) vont être lourdement sollicités. Selon les connaisseurs des mœurs parlementaires, près d’un tiers d’entre eux préférera ne parrainer personne pour ne pas se risquer à soutenir un perdant. Quant à ceux qui se prononceront, ils se rangeront massivement derrière Sarkozy, Fillon, Juppé ou Le Maire, susceptibles de réunir, à eux quatre, plus de 200 parrainages. Dans ces conditions, les Copé, NKM, Lefebvre, Morano et autre Alliot-Marie pourraient devoir se partager un vivier d’à peine plus d’une cinquantaine de parlementaires. De quoi valider, maximum, deux candidatures supplémentaires. Soit, finalement, une primaire à 6 ou 7 participants.

Centre: l’UDI se cherche une place

La dynamique de la primaire bouscule et délégitime les partis. Sarkozy en fait l'expérience à la tête de LR, devenu, quoiqu'il en dise, une machine au service de sa seule candidature. Pour le patron de l'UDI, Jean-Christophe Lagarde, c'est encore pire. Ouverte aux électeurs de la droite et du centre, la «primaire de l'alternance» s'impose sans qu'il ait son mot à dire. Dans un courrier adressé à Sarkozy en janvier, Lagarde conditionnait sa participation au comité d'organisation de la primaire à la définition de «priorités partagées» entre LR et UDI. Cette lettre est évidemment restée sans réponse puisque c'est précisément la primaire qui permettra aux électeurs de choisir «les priorités» et le candidat qui les portera.

Jean-Chrisophe Lagarde défend sa boutique. Plus qu'un accord programmatique, il veut sa part du gâteau électoral : au moins le quart des circonscriptions d'une possible majorité LR-UDI à l'Assemblée. «Trop gourmand», dit-on chez LR. Pour faire monter la pression, Lagarde appelle les militants UDI à se prononcer par référendum contre toute participation à la primaire. Mais quel que soit le résultat de ce vote, la participation des centristes est déjà un fait. Sur le terrain, de nombreux militants UDI veulent prendre leur place dans les comités d'organisation départementaux. Et plusieurs parlementaires ont déjà promis leur soutien, voire leur parrainage, à des candidats LR, notamment à Juppé qui bénéficie, par ailleurs, du ralliement de François Bayrou. Si le parti traîne des pieds, l'électeur centriste, lui, a déjà son candidat.