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Embarras

Primaire : Sarkozy tente de justifier son coup de force contre le vote des expatriés

Bousculé par ses concurrents, l'ancien chef de l'Etat livre un argumentaire lacunaire et approximatif pour remettre en cause le principe du vote électronique, qui faisait consensus.

Nicolas Sarkozy le 12 mai. (Photo Jeff Pachoud. AFP)
Publié le 13/05/2016 à 18h43

En remettant brutalement en cause le principe du vote électronique pour les Français de l'étranger, Nicolas Sarkozy chercherait-il à réduire le corps électoral de la primaire de novembre ? Pour répondre à cette accusation, le chef de LR s'est fendu d'un courrier à ses «compatriotes», mis en ligne sur le site du parti. Malgré sa longueur inhabituelle, révélatrice d'un embarras certain, ce plaidoyer passe sous silence des épisodes essentiels et prend quelques libertés avec la réalité de faits.

Sous la plume de l'ancien chef de l'Etat, l'histoire se raconte en deux dates : le 29 mai 2015, lors du congrès fondateur du parti Les Républicain (LR), 96% des adhérents valident la charte de la primaire qui prévoit, dans son article 6, que le scrutin se déroulera «au moyen de bulletins papier en métropole, dans les territoires d'outre-mer et à l'étranger». Un an plus tard, le 3 mai 2016, le Bureau politique de LR a confirmé cette décision, par un vote quasi unanime, intervenu à sa demande «au terme d'un large débat» avec des représentants de tous les candidats.

Ce vote du 3 mai contredit ce qu'on peut lire dans le «guide électoral» de la primaire, rédigé par la Haute autorité indépendante et mis en ligne sur le site primaire2016.org : «Pour les Français inscrits sur les listes consulaires, un scrutin électronique sera organisé.» On parle là de 1,3 million d'électeurs, dont près de 10% sont susceptibles de se déplacer pour la primaire de la droite. Sarkozy prétend être «tombé de sa chaise» – il l'a dit mardi lors d'une réunion devant des cadres du parti – en découvrant cette disposition qui n'a jamais été approuvée par le Bureau politique. En instaurant le vote en ligne pour les expatriés, les organisateurs de la primaire auraient donc commis un abus de pouvoir qu'il convenait de corriger de toute urgence. Fin de l'histoire ? Pas vraiment.

Aucun ordre du jour

Juridiquement, Sarkozy a raison. Formellement, la charte de la primaire ne peut être modifiée sans l’accord du bureau politique. Il se garde bien de préciser qu’aucun ordre du jour avait accompagné la convocation à la réunion du 3 mai. Ce jour-là, le bureau s’est réuni en l’absence de tous les candidats à la primaire qui ignoraient tout de la délibération à venir. Mais le plus grave n’est pas là : dans son courrier, le chef de LR oublie surtout de rappeler qu’entre mai 2015 et mai 2016, la question du vote électronique pour les expatriés a été maintes fois évoquée sans que personne n’y trouve à redire. Il y avait, de facto, un consensus sur cette question. Il faut donc une forte dose de mauvaise foi pour prétendre l’avoir découverte il y a quelques jours seulement.

Après le congrès de mai 2015, un comité d’organisation composé de 15 membres représentants les candidats déclarés ou potentiels s’est mis au travail. Présidé par le député LR Thierry Solère, ce comité n’a de compte à rendre qu’à la Haute Autorité présidée par la juriste Anne Levade. Sa première mission : établir la liste des bureaux de vote par circonscription. Concernant le gros million d’expatriés officiellement déclarés aux quatre coins du monde, ce comité était arrivé à la conclusion, dès septembre 2015, que seul le vote électronique pouvait leur permettre de participer à cette primaire. En novembre 2015, la Haute Autorité donnait un avis conforme à ce projet de vote électronique. Brice Hortefeux et Luc Chatel, les représentants du chef de LR, n’ont jamais contesté ce point. C’était tellement évident que Sarkozy lui-même avait assuré qu’il en serait ainsi. Le député des Français d’Amérique du Nord, Frédéric Lefevbre, lui-même candidat à la primaire, s’en souvient très bien : c’était le 14 mars dernier, au siège du parti, lors d’une réunion avec les élus et les représentants LR des Français de l’étranger.

Qu'est-il donc arrivé, depuis ce 14 mars, pour que l'ancien chef de l'Etat juge tout à coup que cette solution serait inacceptable ? A part une succession de mauvais sondages, on ne voit pas trop… Sarkozy explique que la coexistence de deux types de scrutin dans une même élection (papier en France, Internet à l'étranger) constituerait une insupportable «rupture d'égalité». Il rappelle que c'est pour cette raison que le Conseil constitutionnel n'avait pas autorisé la mise en œuvre d'un vote électronique pour les expatriés à l'élection présidentielle.

9 000 messages de protestation

Etonnamment, Sarkozy renvoie à la jurisprudence de la primaire socialiste de 2011 qui aurait imposé le vote papier pour tous afin de ne pas rompre l'égalité entre électeurs. Interrogés par Libération, les organisateurs de la primaire du PS contestent cette affirmation. «Si nous n'avons pas retenu ce système, c'est parce que tous les candidats s'en méfiaient, ils le jugeaient peu fiable», se souvient Pierre-Yves Leborgne, député de la septième circonscription des Français établis hors de France (Europe de l'Est). En 2011, les socialistes ont donc bricolé un vote papier avec une quarantaine de bureaux de vote et moins de 7 000 votants sur toute la planète. Cette éviction de fait des expatriés n'avait rien à voir avec une quelconque rupture d'égalité.

«Nous pensions que c'était trop difficile à sécuriser», confirme le député PS Christophe Borgel, ancien responsable de l'organisation de la Primaire citoyenne. Mais depuis 2011, des progrès notables ont été faits en la matière. A l'initiative de Nicolas Sarkozy, les Français établis hors de France ont élu pour la première fois 11 députés… par vote électronique. Frédéric Lefebvre assure avoir reçu près de 9 000 messages de protestation d'expatriés qui ne comprennent pas ce retour en arrière de Nicolas Sarkozy.

Probablement mal conseillé, l'ancien chef de l'Etat a manifestement sous-estimé l'ampleur des protestations. Dans son courrier, il reconnaît «des dérogations» au vote papier devront être envisagées, notamment pour les expatriés éloignés des grandes agglomérations ou ceux habitant dans pays où il est interdit d'organiser des scrutins «en dur», fragilisant ainsi lui même l'argument juridique de la «rupture d'égalité» qui sert de fondement à son offensive. Le bureau politique de LR se réunit mardi pour tenter de trouver une solution de compromis. A défaut d'instaurer l'égalité, ce dernier aura sûrement pour effet d'alourdir et de retarder l'organisation de cette primaire. Peut-être était-ce d'ailleurs l'effet recherché.