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Libération
Billet

Sarkozy prône «la dignité» dans le débat d'idées... et commence par caricaturer son rival

Se posant en défenseur de la «France éternelle», l'ancien chef de l'Etat suggère qu'avec son «identité heureuse», Juppé serait aveugle aux problèmes de ses contemporains

Alain Juppé et Nicolas Sarkozy se croisent dans la cour des Invalides le 7 juillet, à l'occasion de la cérémonie d'hommage à l'ancien Premier ministre Michel Rocard. (Photo Patrick Kovarik. AFP)
Publié le 24/08/2016 à 9h24

Dans Tout pour la France, le livre qui paraît en librairie ce mercredi, Nicolas Sarkozy se décrit en chef de guerre: il se sent «la force» de mener le combat contre «un ennemi qui n'a pas de limites». Pour donner la mesure de ce qui se joue, il précise lui-même, sans fausse modestie, que ce qu'il entreprend ne peut se comparer qu'à ce que fit De Gaulle en 1958. Comme ce dernier, il confie avoir «profondément réfléchi» avant de décider de mettre toute son «énergie» et toute sa «passion» au service de la France.

Parce que «rien n'est possible sans sincérité», il ajoute qu'il sera «le plus honnête» et le plus «authentique» possible. Sa campagne pour l'élection primaire sera empreinte d'une «dignité» exemplaire, le débat d'idées devant «suffire à départager les candidats, sans s'abaisser aux attaques personnelles et au dénigrement».

Las! A quelques pages de ces fortes paroles on surprend «l'authentique» Sarkozy en flagrant délit de malhonnêteté intellectuelle. Tout à son obsession de déborder son principal concurrent par la droite, le candidat désormais déclaré se lance dans une charge caricaturale contre l'expression «identité heureuse», utilisée par Juppé dans un article paru en septembre 2014. Dans une réplique à Alain Finkielkraut, le maire de Bordeaux explique que l'identité malheureuse n'est pas une fatalité et que la République doit être capable de promouvoir une véritable intégration, respectueuse des identités. Cela implique, selon lui, que les responsables politiques fassent leur deuil de la notion dépassée d'«assimilation» qui consiste à vouloir «effacer les origines, nier toute différence».

Dans sa charge, Nicolas Sarkozy feint de croire que Juppé aurait, dans sa grande naïveté, parlé d'identité heureuse pour décrire la situation actuelle. L'honnêteté dont il se réclame aurait dû le conduire à reconnaître qu'il ne s'agit pas d'un constat mais d'un objectif, un idéal vers lequel il faudrait tendre. «Il n'y a pas d'identité heureuse quand des milliers de Français nés en France en viennent à haïr à ce point. Il n'y a pas d'identité heureuse quand les règles de la république sont à ce point bafouées» écrit pourtant Nicolas Sarkozy. Interrogé sur Europe 1 ce mercredi, le sarkozyste François Baroin reprend avec zèle cet argument : «Il n'y a pas d'identité heureuse, c'est une erreur de le penser.»

Juppé a des doutes sur la pertinence de l'assimilation? Il n'en fallait pas plus pour que l'ancien chef de l'Etat en fasse le concept phare de son programme. Déterminé à «assumer clairement le choix de la France éternelle», Sarkozy proclame que «la présidentielle se jouera sur l'identité française».

Il veut instaurer un «pacte d'assimilation» qui passe notamment par l'interdiction du voile dans les universités, les administrations et les entreprises, par la suppression des menus de substitutions dans les cantines scolaires. Autant de «reculs» que la république ne peut plus accepter. Il faudra désormais «vivre sa religion dans le strict respect du mode de vie français».

Ce tonitruant plaidoyer est truffé d'incohérences. Le désastreux renoncement à l'assimilation serait affirme-t-il, un complot «des idéologues du multiculturalisme» et des «sociologues de l'inégalité»; quelques pages plus loin, il esquisse une généalogie de ce renoncement en pointant deux «erreurs» historiques : le recours à l'immigration économique de masse dans les années 60, puis l'autorisation du regroupement familial en 1976. Deux erreurs commises sous des gouvernements de droite, aux temps de Gaulle, Pompidou et Giscard. Qu'importe : c'est dans les décennies suivantes que «la pensée unique de gauche» aurait rendu impossible toute correction de ces erreurs. Nicolas Sarkozy veut changer tout cela. Mais il n'explique pas pourquoi le président élu en 2007 n'a pas profité de son quinquennat pour mettre en œuvre son pacte d'assimilation Aurait-il lui-même été paralysé par la «bien-pensance» des «idéologues du multiculturalisme»? Il ne s'étend pas sur le sujet.