De l'affaire Bygmalion, il sera forcément question ce soir, sur France 2. Les journalistes de l'Emission politique qui reçoivent Nicolas Sarkozy l'ont eux-mêmes confirmé. L'ancien chef de l'Etat, mis en examen pour financement illégal de sa campagne de 2012 aura, on l'imagine, minutieusement préparé sa réponse.
Il y a même fort à parier qu'il commencera par ironiser sur le «traitement de faveur» que lui réserve la chaîne publique. En dépit des protestations des sarkozystes et malgré les réserves du directeur de l'information, Michel Field, l'enquête d'Elise Lucet sur la folle campagne présidentielle de Sarkozy sera bien diffusée le 29 septembre. Une enquête dont les téléspectateurs ont eu un avant-goût au journal de 20 heures du 8 septembre, avec le témoignage «exclusif» de Franck Attal, ex-spécialiste de l'organisation des meetings chez Bygmalion. Prenant devant les journalistes la posture de l'intervieweur, renversement des rôles dont il est spécialiste, l'ex-président demandera sans doute s'il est bien démocratique, en pleine compétition électorale, de tenter de disqualifier un candidat présumé innocent en jetant sur lui des soupçons infamants.
Mais cela ne devrait pas, loin s’en faut, épuiser le sujet. Sur le fond de l’affaire, Sarkozy et ses amis hésitent entre les trois stratégies qu’ils ont utilisées, sans aucun souci de cohérence, après l’annonce de la demande par le parquet de son renvoi en correctionnelle.
La théorie du complot
La première consiste à dénoncer une «manœuvre honteuse», une «manipulation» et un «acharnement» de magistrats manipulés par les politiques. Cette théorie du complot est une énormité. Car qui sont ces acharnés? Les juges qui ont instruit ce dossier pendant près de deux ans? Le vice-procureur qui au terme d'un implacable réquisitoire conclut que le candidat Sarkozy avait forcément «connaissance» du dépassement du plafond de dépenses et que «compte tenu de sa formation et de sa très grande expérience en matière de campagne électorale», il avait donc aussi nécessairement «connaissance de l'usage de moyens frauduleux inhérents à une telle dissimulation»?
S'il croit vraiment que toute la machine judiciaire a été l'instrument d'un complot politique, Nicolas Sarkozy devrait en tirer les conséquences et dire clairement que François Hollande s'est rendu complice de l'une des plus graves forfaitures de la Ve République. L'hypothèse est d'autant plus baroque que l'intérêt bien compris de Hollande n'est surtout pas de mettre hors jeu Sarkozy. Bien au contraire. C'est l'adversaire dont il rêve. Le seul face auquel il peut encore espérer une résurrection politique.
La théorie du Non bis idem
La deuxième stratégie de défense consiste à banaliser l'affaire en prétendant qu'elle aurait déjà été jugée quand le Conseil constitutionnel a invalidé, en juillet 2013, les comptes de campagne de Sarkozy. Les faits ont «déjà été sanctionnés» par les Sages, a ainsi assuré Thierry Herzog, l'avocat de l'ex-président, invoquant le principe du Non bis in idem - selon lequel on ne saurait être jugé deux fois pour les mêmes faits. Il est vrai que les comptes de la campagne 2012 ont une première fois été rejetés au motif que certains meetings précédant sa déclaration de candidature n'avaient pas été déclarés. Le dépassement constaté était de 466 118 d'euros. Mais rien à voir avec le colossal dépassement de 23 millions relevé par les enquêteurs. De plus, le Non bis in idem ne s'appliquerait pas, en l'espèce, puisque le Conseil constitutionnel et le tribunal correctionnel ne relèvent pas du même ordre de juridiction.
La théorie de la fable
Le troisième argument des sarkozystes est sans doute le plus audacieux. Il consiste à contester le moindre emballement des dépenses de campagne. Comme son rival socialiste, le candidat de droite serait, en gros, resté dans les clous. Les deux finalistes de la présidentielle de 2012 ont tenu le même nombre de meetings (40 pour Hollande, 44 pour Sarkozy). Il serait invraisemblable que le second ait dépensé trois fois plus que le premier. Les 18 millions de fausses factures de Bygmalion n’auraient donc rien à voir avec la campagne. L’UMP aurait été victime d’une bande d’escrocs, tous amis de Jean-François Copé, qui auraient profité de la campagne présidentielle pour piller les caisses du parti.
C'est la thèse défendue par le directeur général de LR, Frédéric Péchenard, bras droit de Sarkozy. Interrogé le 6 septembre par France Inter, il se désolait qu'il n'y ait «pas eu d'enquête» sur la destination des 18 millions versés à Bygmalion. «Nous souhaitons que l'on retrouve cet argent», avait-il ajouté. L'ancien patron de la police fait ici bien peu de cas du travail de ses collègues qui ont enquêté pendant près de deux ans, sous l'autorité des juges d'instruction, pour comprendre où était passé l'argent. Ils ont conclu qu'il avait été dépensé dans la campagne électorale et non pas dans de mystérieux comptes off shore. L'explosion des coûts s'expliquant, pour l'essentiel, par l'organisation de meetings dans des délais extrêmement courts et avec les meilleures prestations. Car il fallait, littéralement, gagner à tout prix.