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Libération
Héritage

Valls et Macron se disputent la succession de Rocard

Jeudi, à l'occasion d'un colloque, le Premier ministre et l'ex-ministre de l'Economie ont revendiqué leur proximité avec Michel Rocard, héraut de la deuxième gauche.

Michel Rocard en 1987. (Photo Boris Horvat. AFP)
Publié le 15/09/2016 à 19h36

Qui d'Emmanuel Macron ou de Manuel Valls peut le mieux se revendiquer de Michel Rocard? Jeudi, à l'occasion du colloque organisé par l'association MichelRocard.org et de la fondation Jean-Jaurès, le ministre démissionnaire et le chef du gouvernement sont successivement montés à la tribune pour revendiquer leur filiation devant un parterre de rocardiens historiques. De quoi transformer l'événement, programmé du vivant de l'ancien Premier ministre de François Mitterrand, en arène annonciatrice d'échauffourées politiques à venir. Les organisateurs ne s'y sont pas trompés, qui ont séquencé les deux interventions de telle sorte que les enfants terribles de la gauche réformiste ne se croisent pas. Le public non plus : devant les locaux de l'Assemblée nationale au 101 rue de l'Université, il y avait la queue sur le trottoir. «400 personnes supplémentaires se sont inscrites depuis début septembre»,  confie Pierre Pringuet, ancien collaborateur de Rocard et président de l'association chargée de diffuser son œuvre «La salle est trop petite pour accueillir tout le monde. On va devoir refuser l'entrée à une centaine de personnes…»

Premier à prendre la parole, Emmanuel Macron joue l'effet miroir. Soulignant en guise d'avertissement à Manuel Valls que l'héritage est «trop vaste» pour être «récupéré» par quiconque, Macron dévoile ce que lui retient du rocardisme : une «éthique de l'action». Laquelle repose, selon lui, sur cinq fondements: «l'indignation» qui ne conduit pas au défaitisme mais à l'action (et donc qui met en marche); la «pensée complexe» qui permet de saisir «les causes profondes de la réalité qui nous entoure» et dont l'absence transforme le pouvoir en «gouvernants de l'accessoire»; «l'efficacité», qui pour Macron n'est autre que la «volonté d'agir pour transformer le réel»; la «méthode» qui suppose que l'action puisse être «évaluée, expérimentée, transparente»; et enfin la «cohérence» dans l'espace -«du local au global»- et dans le temps long. Des préceptes que Macron se targue d'avoir faits sien et qui, selon lui, déterminent le retour de la «confiance» «qui n'est pas une naïveté mais la reconnaissance de la capacité de la société civile à faire.»

«Rocard était un homme de parti»

Sur un point pourtant, l'ex ministre concède un «dissensus» avec l'ancien leader de la deuxième gauche: «Rocard était un homme de parti.» En marge du colloque, Macron, dont l'ambition présidentielle est désormais claire, confirme: «C'est notre principal point de divergence. Parce qu'il était minoritaire…»

Autre fils spirituel revendiqué, autre ton. A mille lieux du discours de la méthode de Macron, Manuel Valls s'appuie sur l'actualité brûlante pour se poser en gardien incontesté du temple. Après avoir salué l'action de Rocard pour la «moralisation de la vie publique», le Premier ministre s'est déchaîné contre Jérôme Cahuzac, qui lors de son procès pour fraude fiscale a prétendu avoir ouvert en 1992 un compte en Suisse pour financer les rocardiens. «Calomnie» et «mensonge», fustige-t-il, vidant au passage la querelle sur l'héritage. «Je lis, j'entends ici ou là que l'héritage de Michel Rocard serait très disputé. Cela n'a pas de sens - et en tout cas, ne comptez pas sur moi pour participer de cette dispute qui serait mesquine», s'est-il dégagé. «Je ne sais pas si nous devons être les héritiers de Rocard, mais nous devons en tout cas être les passeurs, humbles, opiniâtres et fidèles».

C'est au nom de l'héritage pourtant, que Valls lance un avertissement à Macron. Rappelant «la rudesse et de l'âpreté de l'opposition» à laquelle Rocard a été longtemps condamné, il attaque : «Ceux qui aujourd'hui, à gauche, font tout pour que nous retournions vers les temps d'avant, où la gauche était spectatrice, se trompent lourdement. Quand on est fidèle à Michel Rocard, on ne peut pas l'accepter!»