Si l'éducation avait été la grande oubliée du deuxième débat opposant les sept candidats de la primaire de la droite et du centre, ce thème a été largement abordé jeudi soir, lors du troisième et dernier débat diffusé par France 2 et Europe 1. C'est cette fois la question du climat et de l'écologie - alors que la COP 22 se tient en ce moment à Marrakech - qui a été zappée (on exagère à peine), malgré les récriminations de Nathalie Koscisuko-Morizet. Laquelle a par ailleurs exhorté les intervieweurs du soir à ne pas s'éterniser sur la candidature de Macron comme leurs confrères l'avaient fait, au détriment des débats de fond, en parlant «vingt minutes de François Bayrou» la fois précédente. On retiendra sur le cas Macron qu'Alain Juppé a tout fait pour s'en distancer, le (dis)qualifiant de «coauteur» du quinquennat.
Au terme du premier chapitre de l'émission, assez tôt dans la soirée, David Pujadas a posé la question qu'aucun de ses adversaires n'aurait osé poser à Nicolas Sarkozy en l'interrogeant sur les déclarations de Ziad Takieddine, cet ancien intermédiaire dans les contrats d'armement qui a affirmé il y a quelques jours dans une vidéo diffusée par Mediapart avoir lui même remis à Claude Guéant et à Nicolas Sarkozy des fonds libyen par valises entières de cash pour financer la campagne présidentielle de 2007. Outré par l'outrecuidance de son hôte du soir, Sarkozy a failli s'étouffer: «Quelle indignité. Nous sommes sur le service public. Vous n'avez pas honte de donner écho à un homme qui a fait de la prison, qui a été condamné pour diffamation, qui est un menteur. C'est une honte.» Personne n'a relancé, le journaliste rétorquant sans en rajouter que Nicolas Sarkozy avait lui-même abordé le sujet dans une interview au Figaro.
L'émission s'était ouverte sur les questions internationales avec une réaction à la victoire de Donald Trump. L'occasion pour Juppé de glisser qu'«il n'est pas question pour nous de renoncer à lutter contre le réchauffement climatique». Et pour NKM de lancer que «ce qui était détestable dans les propos de Donald Trump l'est toujours. […] Il a gagné aux Etats-Unis, nous allons travailler avec lui, mais ça ne nous oblige pas à essayer de lui ressembler». Visé, Sarkozy n'embraye pas sur son refrain de la victoire du «candidat du peuple». Il choisit - comme plusieurs fois dans la soirée - de faire valoir son expérience, unique, d'ancien chef de l'Etat, affirmant que l'élection de Trump «va avoir deux conséquences géostratégiques majeures», avec une Amérique qui va «défendre (ses) intérêts avec plus d'agressivité». D'où la nécessité selon lui d'un «Buy European Act». Sarkozy lance aussi que l'isolationisme de Trump est «l'occasion (pour la France) de réaffirmer un leadership, […] sans que les Etats-Unis ne nous fassent de l'ombre».
Virulence sur la Turquie
Au moment d'aborder la lutte contre l'Etat islamique et l'attitude à avoir à l'égard de Bachar Al Assad, chacun évoque un déplacement censé nourrir sa stature: qui «au Sahel», qui «au Mali avec l'opération Barkane», un autre «avec les chrétiens d'Orient» et bien sûr Jean-Frédéric Poisson à Damas. Seuls Sarkozy et Juppé n'ont pas besoin de montrer qu'ils connaissent le monde. Et (presque) tous s'accordent sur la nécessité de réouvrir une représentation diplomatique française à Damas. Quant à Assad, Juppé comme Sarkozy affirment qu'il n'a plus sa place depuis longtemps à la tête du pays. Sur la question turque et notamment sur la dérive autoritaire du pouvoir Erdogan, les principaux candidats font part de leur volonté de remettre en cause l'accord entre l'UE et la Turquie sur la question des migrants. Et Nicolas Sarkozy a, lui, été particulièrement virulent pour dire que la Turquie n'a rien à faire en Europe et qu'il faut le lui signifier une bonne fois pour toutes. «Sa présence dans l'Otan va finir par poser un problème», a-t-il ajouté.
L’Europe, justement, il en a plus été question que lors des précédentes émissions. Bruno Le Maire a revendiqué sa proposition d’un référendum en début de quinquennat sur un nouveau traité, s'attirant les raillerie de Copé, NKM ou Fillon. Pour résumer, les trois favoris des sondages de la primaire préconisent de renforcer les frontières extérieures et de faire avancer, par de la convergence fiscale et la mise en place d’une vraie gouvernance opérationnelle, l’Europe de la zone Euro. Le tout en prenant acte de la paralysie de l’UE à 27. Et quand il s’agit de parler de défense, c’est d’ailleurs à l’échelle nationale, au-delà des coopérations, que chacun pose le sujet. En promettant de regonfler, après que la droite les a beaucoup diminués entre 2007 et 2012, les effectifs de la Grande muette.
Clivage sur le collège unique
L'école a été un autre chapitre important de la soirée. Notamment la suppression du collège unique, défendue avec des nuances par Le Maire ou Copé, quand NKM et Juppé refusent la perspective d'un collège des bons et d'un collège des mauvais. Nicolas Sarkozy prône, lui, l'accès à l'apprentissage dès 14 ans quand le maire de Bordeaux passe un long moment à expliquer la nuance, sous le regard moqueur de l'ancien chef de l'Etat, entre «orientation sélective» pour la réussite et «sélection» par l'échec. Chacun son style. Mais une quasi-unanimité existe à droite pour la création de nouvelles maisons de redressements pour les «perturbateurs», seul Sarkozy préconisant, lui, de supprimer les allocations familiales aux parents démissionnaires des élèves abstentionnistes. On a également entendu Copé parler d'uniforme au collège, de salut du drapeau et de chant de l'hymne national.
Après des échanges nourris sur les «questions sociales», qui se sont la plupart du temps résumés à une stigmatisation plus ou moins décomplexée de l'assistanat - un classique à droite -, un coup d'éclat est intervenu vers 23 heures. Il est venu de François Fillon, si, si. Le troisième homme qui se rêve finaliste s'est rebellé en dénonçant la recherche du «spectacle» dans les émissions politiques et en affirmant refuser le principe de la dernière partie de l'émission: celui d'un échange entre les candidats. Il tente d'embrayer sur la santé, sujet à peine évoqué, défendant une «désétatisation» qu'il prône en bien des domaines. Pujadas reprend la main en tentant de lancer un débat Fillon-Juppé sur la question de nombre de fonctionnaires qu'il est possible de supprimer en cinq ans. Mais Juppé décide de «faire comme Fillon» et de choisir librement son sujet d'intervention: la ruralité, qui mérite selon lui grand plan d'accès au numérique. Reste qu'à près cette brève échappée des deux candidats, Pujadas obtient son face-à-face Juppé-Fillon. Et c'est le second, pugnace et très préparé, qui imprime, quand Juppé se contente de se dire «pas convaincu».
«Petit bout de la lorgnette»
Quelques minutes plus tard, Fillon note que Copé vient de le traiter «d'imposteur», NKM regrette qu'il faille «se faire insulter pour avoir la parole» et Nicolas Sarkozy affirme : «dans ce cas je vais l'avoir beaucoup». Et il le prouve. Il profite d'un dernier petit échange sur les impôts pour affirmer que son principal concurrent, Juppé donc, ne comprend pas le ras-le-bol fiscal des «classes moyennes». Un décalage avec le réel qu'il pointe aussi à propos de la maîtrise des flux migratoires, réaffirmant sa volonté de supprimer le regroupement familial. «Inhumain», avait déjà rétorqué Juppé, «petit bout de la lorgnette», a-t-il balayé jeudi soir. Lors d'une soirée où Juppé mais surtout Fillon et par moment Sarkozy auront été au-dessus du lot. L'incertitude reste entière.