10 à 15% des électeurs de la primaire de la droite et du centre seraient des électeurs de gauche. Du coup, au sein de la gauche, certains qui n’en n’ont pas été reprochent à ceux qui l’ont fait, avec humour parfois, d’avoir légitimé les électeurs de droite à s’inviter à la primaire de gauche et, surtout, d’avoir légitimé et contribué à la victoire du candidat le plus réactionnaire.
Ayant publiquement invité les électeurs de gauche à voter à la primaire de droite sur France Culture, je tiens à répondre sur ces deux points. Le risque d’une subversion de la primaire de gauche par les électeurs de droite est très faible. Les électeurs de droite ne se sentent pas vraiment concernés par la primaire de gauche pour deux raisons.
1- Un second tour Marine Le Pen vs un candidat de gauche est très improbable.
2 - Dans une telle configuration, un nombre significatif d’électeurs de droite s’abstiendrait, et un petit nombre d’électeurs de droite voterait MLP : dans un 21 avril à l’envers, il n’y aurait à droite rien de comparable avec la mobilisation de la gauche pour Jacques Chirac en 2002. C’est bien triste, mais c’est ainsi.
Rien de nouveau sous le soleil
S'agissant du reproche d'avoir contribué à légitimer et à faire passer un candidat réactionnaire et thatchérien, ce n'est pas très sérieux. En termes de programme, que ce soit François Fillon, Alain Juppé ou Nicolas Sarkozy, le candidat de la droite est le candidat de la droite ; il n'y a rien de nouveau sous le soleil : la droite reste la droite (LOL :-)). Il y a des nuances importantes entre les programmes de François Fillon et d'Alain Juppé – en particulier sur la construction européenne et la politique étrangère –, mais elles restent des nuances, surtout s'agissant de la vision de la société. D'autant que le président élu, s'il est issu de la droite, devra composer avec toutes les sensibilités de son camp, les partenaires sociaux et la société civile, comme toujours sous la Vème République.
La différence très importante avec Nicolas Sarkozy, c’est que ni Fillon ni Juppé ne se comportent comme des «voyous» sans principes ni éthique avec l’argent, la justice et l’Etat de droit. D’autre part, et c’est tout aussi grave que d’être un «voyou» sans foi ni loi en politique, Nicolas Sarkozy est le leader de droite qui, pour se faire élire et gouverner, a décidé de rompre la digue qui séparait jusqu’à lui l’UMP/LR du FN. Sarkozy, par ses discours comme par ses actes, a légitimé et normalisé le FN : tout en refusant nominalement toute alliance entre l’UMP/LR et le FN, il n’a cessé de signifier aux électeurs de droite et d’extrême droite qu’il était le plus à même de les rassembler en un grand peuple de droite ; il n’a cessé de brouiller les repères politiques, doctrinaux et intellectuels. Il se trouve que, jusqu’à alors et encore à présent (et sauf erreur de ma part), Fillon comme Juppé avaient tenu cette ligne, même une fois la digue rompue par Sarkozy ; de ce point de vue, rappelez-vous des élections régionales de 1998 et des élections présidentielles de 1995 et 2002, Alain Juppé est chiraquien et François Fillon séguiniste.
Le bon positionnement
Voilà pourquoi il était utile et légitime pour des électeurs de gauche de se sentir concernés, et d’agir, par (et dans le cadre de) la primaire de droite. Maintenant que Nicolas Sarkozy est battu, la seule question pour un électeur de gauche dans le cadre de la primaire de la droite est : en cas de second tour Alain Juppé ou François Fillon vs Marine Le Pen, l’un des deux peut-il être battu par MLP, ou pas ? Si oui, il convient de se poser la question de contribuer à faire passer l’autre dès à présent comme candidat de la droite, vu que les électeurs de gauche risquent d’avoir à voter pour le candidat de droite au second tour de la présidentielle contre MLP.
Question subsidiaire
Éventuellement, on peut se poser la question suivante, de façon subsidiaire : la présence de Juppé ou de Fillon peut-elle favoriser la présence d’un candidat de gauche au second tour de la présidentielle ? Il me semble qu’on ne dispose pas encore de suffisamment d’éléments pour répondre de façon solide à ces deux questions, et qu’on n’en disposera pas d’ici le second tour de la primaire de la droite et du centre ; à partir de là, je ne vois pas à ce jour très bien pourquoi les électeurs de gauche iraient voter au second tour de la primaire de droite, alors que je vois bien pourquoi il était important pour eux de contribuer à faire battre Sarkozy pour qu’il ne soit pas le candidat de la droite à l’élection présidentielle française en 2017.