S'il fallait trouver un exemple du brouillard dans lequel baigne une partie de la gauche à cinq mois de la présidentielle, il fallait venir ce samedi au «Carrefour citoyen des gauches et de l'écologie» à Bondy (Seine-Saint-Denis). Martine Aubry et ses amis ont pourtant réussi à remettre dans une même salle des socialistes - plus ou moins opposés à la ligne Hollande-Valls - des écologistes et même le porte-parole du Parti communiste, Olivier Dartigolles. Un dégradé de roses, de rouge et de vert couronné de têtes d'affiche comme la maire de Paris, Anne Hidalgo, et, surtout l'ex-ministre de la Justice, Christiane Taubira, très applaudie par les quelque 650 personnes présentes, selon les organisateurs, lors de son intervention dans l'après-midi. «On est les seuls, parce qu'on est central à gauche, à pouvoir rassembler tout le monde», se gausse le député François Lamy, fidèle d'Aubry.
D'accord, mais tout ça pour quoi faire ? «Il faut revenir sur terre ! La droite est aux portes du pouvoir!» s'arrache les cheveux un dirigeant socialiste venu observer ce rassemblement. Car si les aubrystes se montrent satisfaits de faire débattre tout le monde sur les «fractures territoriales», le travail, l'écologie, le juste échange et s'opposent, à chaque intervention, à la théorie des «gauches irréconciliables», la question du débouché politique d'une telle initiative se pose toujours. «L'idée pourrait naître de structurer cette initiative, dit Lamy. En tout cas de continuer à la faire vivre. Indépendamment des échéances.» Mais pas, pour l'instant, de présenter un(e) candidat(e).
Aubry «ne sai(t) pas» pour qui elle votera
On ne saura donc pas, après toute une journée à Bondy, vers qui convergera tout ce petit monde alors que les candidatures à la primaire de la gauche s'ouvrent la semaine prochaine et que les deux têtes de l'exécutif sont en guerre. «Aujourd'hui, je ne sais pas pour qui je voterai, a prévenu Aubry devant la presse au début de la journée. Je ne sais rien, j'attends les programmes, les projets. Pour certains, je sais que je ne pourrai jamais être avec eux : Emmanuel Macron par exemple, lui, c'est le seul que je citerai aujourd'hui car il n'est pas à gauche.» «Nous sommes tous des candidats. Nous sommes pour une candidature collective, a-t-elle lancé plus tard dans son intervention à la tribune un peu avant la coupure de midi. La candidature que nous déclarons ici à Bondy, c'est la candidature des idées et des valeurs». On a surtout retenu que la maire de Lille, se défendant de parler du bilan Hollande, avait préservé le chef de l'Etat pour critiquer, sans les nommer, Manuel Valls d'un côté et Emmanuel Macron de l'autre.
Pour le premier, lorsqu'elle a souligné qu'à Bondy, «on n'a pas parlé d'islam». «Ça ne nous paraît pas être le coeur des problèmes de la France aujourd'hui», a insisté la maire de Lille. Ou bien que «sur l'identité, la France est forte de sa diversité» et aurait dû faire beaucoup plus dans l'accueil des réfugiés. Ou encore : «Je n'admets pas qu'on dise qu'il y a à gauche des hommes et des femmes qui voudraient gouverner et d'autres qui ne le voudraient pas. Nous sommes les pieds dans la glaise.» Quant à l'ex-ministre de l'Economie, «celui qui nous a quitté. Et j'allais dire presque heureusement», a-t-elle ironisé, Aubry l'a accusé d'être l'auteur de la loi El Khomri et a critiqué sa prétendue «modernité» qui s'attaque, selon elle, aux acquis sociaux.
Bartolone vole la vedette
Ce n'est qu'après son intervention que la maire de Lille a compris que l'un de ses invités, le président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, avait parasité le message qu'elle voulait adresser depuis Bondy. L'élu de Seine-Saint-Denis a en effet déclaré le matin à la presse que Manuel Valls devait s'expliquer avec François Hollande dans la prochaine primaire. «Ça ne correspond pas à l'état d'esprit de la journée», pestait Lamy. Après le déjeuner, Aubry, devant des témoins est allé voir Bartolone : «Je ne voulais pas qu'on retienne ça de la journée!», lui a-t-elle lancé.
Ce qu'elle voulait qu'on retienne c'est l'image d'un «rassemblement» autour d'elle avec des représentants du monde syndical et associatif, un communiste, des écologistes, le retour d'Anne Hidalgo comme la présence de Christiane Taubira. Avec le lyrisme qui la caractérise, l'ex-garde des Sceaux est venu alerter sur «l'urgence» économique et européenne. Face aux «grondements sourds qui grincent dans le secret de l'isoloir», elle a appelé à «retrouver vite, et très vite, le goût des gauches». «Ce sont les idéaux de gauche qui permettent d'apporter les réponses modernes et durables aux urgences», a-t-elle affirmé avant de se faire toujours plus sibylline sur ses intentions : «Le temps presse [...] Il n'y a plus de place pour les egos ou [...] pour les fidélités dépassées».
«Vous parlez le Taubira vous ?»
On peut lire là une (petite) prise de distance avec François Hollande: «Des mots durs, blessants, ont été prononcés sous cette législature [...], des actes perturbants imprévus, difficiles à défendre ont été accomplis, a-t-elle poursuivi, faisant référence au débat sur la déchéance de nationalité qui l'a fait sortir du gouvernement. Ces mots durs ne s'effaceront pas tout seul. Ces actes perturbants ne s'expliqueront pas tout seul», a-t-elle ajouté avant d'appeler à «mettre fin à ce trop long et triste épisode de compréhension» : «La vie est souvent injuste, le plus souvent ingrate [...] C'est nous qui pouvons et qui devons ouvrir un autre moment, un autre chemin. Pour nous, il n'y a pas de temps de sommeil.»
Quelques instants plus tard, le député PS Laurent Baumel, proche d'Arnaud Montebourg, s'est jeté sur nous : «Vous parlez le Taubira vous ? plaisantait-il. C'était très beau mais j'avoue ne pas avoir compris ce qu'elle veut.» Si le nom de son candidat – comme celui de tous les candidats potentiels à la primaire organisée par le PS – n'a pas été prononcé ce samedi, le député d'Indre-et-Loire avoue sa satisfaction d'un lieu à gauche qui «dit que les deux gauches ne sont pas irréconciliables». «La façon dont les uns et les autres vont le décliner dans des choix tactiques ne sera peut-être pas homogène», glisse-t-il. Un autre de ses camarades demande à ce «carrefour» de choisir clairement sa direction. Sinon, prévient-il, «ne pas choisir, ça veut dire soutenir Hollande».